Rencontre avec Maître Alain Gobin

Je rentre dans les locaux modernes de cette étude cossue de Meudon, une fois l’escalier gravi, ma vue s’attarde sur une série de photos en noir et blanc, données, je l’apprendrai par la suite, par la fille de l’artiste Robert Doisneau, deux grands tableaux au fond, scènes de combats modernes ; pas de doute, je suis bien chez Maître Alain Gobin.

« L’art est une façon de sentir le monde »
« L’art déborde tout, je suis immergé dans l’art »

Maître Gobin,  notaire, artiste, qui êtes-vous ?
Avant tout je suis un musicien, guitariste Flamenco, je joue presque tous les jours depuis mon adolescence. Très jeune, j’ai rencontré Hernando Viñes, peintre et guitariste, ami de Picasso et neveu de Ricardo Vines, pianiste et figure incontournable de sa discipline, et âme de la vie culturelle de l’époque des années 1910/1930.
Je suis passionné, et immergé dans ce monde pour moi préexistant au notariat. J’ai longtemps donné des cours de musique au conservatoire Courbin de la rue de Rennes. Mon épouse est elle-même pianiste.
J’ai écrit très tôt un certain nombre de livres sur la musique, les instruments, le Flamenco.

Non, vraiment, je ne savais pas que je deviendrai notaire.

C’est l’époque où je suis étudiant à science Po Paris, tout en faisant mon droit à Assas.
Puis je prépare, après mon doctorat sur la propriété artistique, une agrégation de droit.  C’est alors que le notaire de mon père me propose de venir «voir et sentir» ce qu’est le métier. Cela se fait par le hasard d’une conversation, sans aucune idée précise, juste pour une expérience.
Ce n’est pas une révélation, mais presque. J’entrevois alors tout ce que ce métier peut apporter. On peut y épanouir une vraie pensée juridique, tout en gagnant honorablement sa vie.
Je décide d’explorer cette possibilité, j’y suis encore 38 ans plus tard. Je prépare donc mon diplôme par la voie universitaire, et je rentre en 1976 à l’étude de Meudon, à 28 ans avec Maître Marcel Brisse pour associé.

Comment menez-vous votre carrière ? Est-ce conciliable avec votre amour de l’art ?
Je ne concilie pas. Mon métier et ma passion sont imbriqués. Ce qui m’intéresse avant tout c‘est l’Homme, au sens générique, c’est ce que le notariat permet et apporte. Ma clientèle est naturellement composée d’artistes, puisque c’est une grande partie de ma famille intellectuelle, et que je les côtoie tous les jours. C’est ainsi, qu’en  qualité de musicien et notaire,  la famille de Maria Callas me confie sa succession, c’est la première que je dois régler à 28 ans. Je suis reconnu tout de suite comme un «frère en musique», Cela facilite les relations et me rend donc apte à résoudre les questions spécifiques, notamment, comment conserver le rayonnement culturel de Maria Callas, comment préserver son enseignement, son patrimoine musical,  comment défendre son image d’interprète? Par quels outils légaux?

Je me suis très tôt intéressé au problème des droits d’auteur, c’est d’ailleurs l’objet de ma thèse de doctorat.
Je suis reconnu assez rapidement comme un expert, et de nombreux artistes me consultent sur le sujet. Beaucoup de compositeurs, de galeristes, leurs artistes, parfois des peintres ou sculpteurs, mais aussi des écrivains, des poètes ou des musiciens sont mes clients et mes amis, ou mes amis et mes clients…

La protection des artistes n’est pas un fondamental du notariat…
Certes, mais cela va faire le sel de mon métier, l’objet de mes recherches et publications juridiques. Ainsi avant même la promulgation de la loi Balladur du 23 juillet 1987 sur le mécénat, j’écris le premier livre sur le sujet, une approche systémique du droit de l’art. Cela intéresse les collectionneurs. C’est une grille de lecture qui couvre les problèmes familiaux, économiques, patrimoniaux et fiscaux.

Ainsi le lecteur peut se poser les questions suivantes :
Pour constituer ma collection, qu’est-ce que j’acquiers ? Problème des droits d’auteurs, d’authenticité, d’origine de propriété, de garantie, de conservation.
La détention ? Sous quelle forme détenir : Fondation? Musée ? Société ?
La transmission? Comment transmettre ? A qui ? Et où ?
Toutes ces interrogations traversent la vie des artistes interpellent les élus locaux,  mobilisent parfois l’image d’un pays.

Avez-vous un exemple ?
Oui, En 2001, j’ai été interrogé lors de  la succession d’un très grand marchand de tableaux du siècle dernier mondialement renommé. Je propose alors aux parties une dation en paiement des droits successoraux de l’extraordinaire ensemble de reliefs en marbre sculptés par Pierre Julien pour la Laiterie de la Reine à Rambouillet. L’idée est acceptée et mise en oeuvre.
Cette dation, qui est l’une des plus importantes depuis que le dispositif existe, permet à ce chef-doeuvre du dernier grand sculpteur français classique de revenir en son site originel.

Piece

Pierre Julien (1731-1804)
Une mère allaitant son enfant, 1785-1787 / Marbre / Diamètre : 65 cm
Rambouillet, Laiterie de la Reine / 
Photo : Archives WIldenstein

Vous êtes donc un notaire heureux ?
Je vous répondrai oui,  comme le titre d’un très beau film «J’ai même rencontré des tziganes heureux» dans la mesure où pour moi tout est lié, le professionnel et le personnel, le public et le privé car tout est culture. La rencontre me semble essentielle et le notaire qui ne le reconnaitrait pas perdrait une grande dimension de son métier. Cependant, c’est bien notre personnalité et l’ensemble de nos centres d’intérêt qui va déterminer quel notaire nous serons.

Comme la parole est le lien social par excellence, mais, tel le temps du sablier elle s’évanouit, l’écriture est le ciment qui va pérenniser ce lien.

Le notaire est homme de plume, il conçoit et écrit chaque fois un contrat sur mesure pour ses clients et non pas des formules toutes faites. C’est ainsi que ma qualité d’écrivain, d’auteur et de rédacteur me pousse à exercer mon métier. Et la trentaine de livres que j’ai écrits jusqu’alors couvre des sujets aussi divers que le domaine de l’art pur, l’esthétique, le droit notarial, le divorce, le mécénat, les droits d’auteur, les fondations…

C’est ainsi que métier et passions se fondent et se mêlent.

Le notaire se situe d’abord dans un rapport économique, mais on peut tout à fait envisager le notariat sous un angle artistique. Je crois que l’on commence à être heureux lorsqu’on pratique son métier avec art.

Le notariat n’est pas un métier difficile même s’il est complexe.

Nous ne sommes pas les Dieux du droit, cependant si l’on recherche l’épure, après avoir écarté tout ce qui peut «polluer» le sujet traité, on peut alors avoir l’impression de «voler au dessus de la planète droit».

Ainsi c’est  ce que je ressens en traitant les sujets de mécénat, de fiducie, de philanthropie sur lesquels j’ai énormément réfléchi et écrit.

Qu’aimez-vous dans votre métier ?
Le notaire est l’homme de l’amiable et du contrat, il en est le garant.

Contrairement à l’avocat, et au droit anglo-saxon, il n’est pas le défenseur d’une partie. Il ne défend pas un client mais recherche avec son confrère représentant l’autre client la meilleure solution pour une équité du contrat.
Je ne suis pas acteur de la négociation, j’écoute mon client, j’identifie ce dont il a besoin, mais je vérifie aussi que l’autre camp a pu aussi exprimer librement et en conscience sa problématique.
En droit Anglo-saxon, c’est le plus fort qui gagne, alors que 2 notaires face à face vont régler le problème à l’amiable.
L’avocat est l’homme du client et d’un intérêt, le notaire est l’homme du contrat et de son équilibre.

 Je n’aime pas refaire deux fois la même chose, je recherche toujours plus loin.

Les montages complexes m’intéressent. La création d’une fondation ou d’un montage demandant une analyse juridique et financière fine dans un contexte international pour régler des problèmes patrimoniaux me captivent. Je vais fabriquer à partir d’un rattachement juridique, poutre maîtresse, un édifice complexe et sur mesure.
Prenons l’exemple d’un client Brésilien propriétaire de 3 avions de grand tourisme, souhaitant faire un effet de levier financier sur ce patrimoine. Notre fréquentation intime me conduira à lui proposer un contrat quirataire sur aéronefs (parts syndiquées de l’avion comme pour un cheval de courses) assorti d’un leasing mutualisé par une banque Américaine avec garantie des Lloyds de Londres.

La richesse ce sont les êtres
Il faut savoir les regarder comme un peintre ou un écrivain…

Mon autre centre d’intérêt ainsi que je l’évoquais plus haut est la relation humaine. Et je trouve dans chaque rendez-vous un bénéfice et un plaisir toujours renouvelé.
Il m’arrive ainsi de m’extraire mentalement d’une discussion aigre ou d’une dispute entre mes clients pour n’y voir que l’argument d’une pièce de théâtre, l’objet d’une nouvelle ou d’un film à tourner. Vous voyez, tout est art.

Que vous apporte votre métier?
L’humilité est une vertu que l’on acquiert au fil du temps. En effet, nos clients sont très différents et l’on peut aussi bien avoir dans la salle d’attente, un ambassadeur que la boulangère du coin de la rue, un peintre célèbre que l’apprenti maçon. Nous sommes au contact de tous. Le droit de la famille nous met dans des situations parfois difficiles où l’âme est mise à nu.

On apprend assez vite que des gens très simples peuvent se révéler de grands seigneurs et inversement, et de hauts représentants de la république, s’abaisser et s’avilir.
Cela remet les choses en place, il m’est impossible d’avoir «la grosse tête».
La noblesse est transversale de toutes les couches de la société.

Ce métier, de par mon expertise, m’a permis de connaître et aimer beaucoup d’artistes. Ainsi ce peintre Hongrois Nagy, que j’ai mis 15 ans à apprécier et acheter, et pour lequel j’ai organisé une exposition à Budapest et écrit une monographie. Il était arrivé à Paris après l’insurrection hongroise de 1956.

Nagy

Flamenco
Imre NAGY
Conçu durant l’audition d’un concert de guitare Flamenco d’Alain GOBIN à Uzès
Réalisé en 3 jours, on y distingue les guitares et les notes noires ou croches des trémolos
du canto Sondo.

Oeuvre remarquable exposée à Budapest et à Paris.
Actuellement en mains privées.

Zorko, ce grand sculpteur Slovène, proche de Jean ARP dont j’avais créé la fondation à Clamart. Vicky Colombet, peintre que j’ai soutenue dès ses débuts et qui est exposée aujourd’hui au MoMA de New York.
Je ne m’occupe pas beaucoup de l’art contemporain, c’est une approche plus spéculative. Mes amis artistes sont souvent encore vivants mais appartiennent plus à l’art moderne qu’à l’avant-garde contemporaine.

Finalement, il est primordial de s’amuser, de sortir de la routine, ce n’est pas toujours facile, mais mon approche du métier permet souvent d’éviter l’ennui.

Avez-vous quelques anecdotes ?
Deux me reviennent à l’esprit, un rendez-vous demandé par une vieille couturière, qui m’annonce fièrement qu’elle vient pour le «jus de fruit».
Un peu plus tard, je comprends qu’elle est plus intéressée par l’usufruit que par un jus de pamplemousse.
Une de mes clientes, maraîchère de Meudon, avait certainement un don poétique lorsqu‘elle me parlait, à propos de leur donation entre époux, d’une «donation au plus vivant des deux».

Que diriez-vous à un jeune notaire ?
Vivez votre vie. Soyez authentique, ne trichez jamais. C’est à dire, ne rentrez pas dans la routine qui vous conduirait à élaborer des actes  impersonnels selon des formules indéfiniment répétées, juste dans le but de gagner vite de plus en plus d’argent. Un peu comme un peintre qui reproduirait toujours la même oeuvre, sous prétexte qu’elle s’était bien vendue la première fois.
Personne n’a la science infuse, cherchez la vérité, vérifiez toujours, allez au fond des choses. Remettez-vous en question, évoluez, projetez-vous dans l’avenir.

Cherchez à apporter le meilleur à votre client.

Cela fait une heure trente que je suis assise dans son bureau, sans doute aurais-je pu rester encore plus longtemps, maître Gobin est un orateur prolixe, une idée en amène une autre, il est intarissable lorsqu’il s’agit de ses artistes, de son Flamenco…Mais ses clients l’attendent…. Riche collectionneur, prince qatari ou juste une petite vendeuse du Monoprix de Meudon ? Je ne le saurai jamais.

Entretien réalisé par Caroline Lambert le 31 janvier 2014

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