Amédée Jullien, un notaire
qui était aussi artiste

Au XIXe siècle, il est assez fréquent que des individus exerçant leur profession dans le monde du droit aient consacré leurs loisirs à des recherches d’histoire. Le cas est plus rare de personnes qui officiaient comme notaire tout en poursuivant une carrière artistique. Cette situation a été celle d’un personnage originaire de Clamecy, Amédée Jullien (1819-1887), qui a assumé les fonctions de clerc de notaire puis de notaire, tout en peignant et en gravant.

Amédée Jullien était né à Clamecy, sous-préfecture de la Nièvre, le 30 novembre 1819. Son père exerçait alors comme avoué dans cette ville, où il devint plus tard juge suppléant, puis juge d’instruction, ainsi que conseiller municipal. À sa mort en 1873, il laissa une fortune de plus de quatre cent vingt mille francs. C’est donc dans une famille honorable et aisée que grandit Amédée Jullien, qui manifesta assez tôt des goûts pour les arts. Il poursuivit ses études à Paris, où il obtint une licence de droit. En octobre 1843, il entra comme sixième clerc chez un notaire parisien, Thifaine-Desauneaux. Par des promotions successives, il devint en 1847 troisième clerc chez un notaire de la rue Saint-André-des-Arts.

Julien_02

Amédée Jullien, Le Retour du marché, 1875. Musée de Clamecy.

Parallèlement, Amédée Jullien s’était fait admettre dans l’atelier parisien de Jean-Charles-Joseph Rémond, où il prit des cours de peinture. Comme son maître, Amédée Jullien devait souvent réaliser des paysages. Il avait exposé des tableaux au Salon parisien de 1841 et à celui de 1842, puis s’interrompit jusqu’au Salon de 1848, sans doute absorbé par ses activités professionnelles.

Amédée Jullien aurait souhaité concilier son intérêt pour l’art et une carrière dans le notariat en devenant titulaire d’une étude très proche de Paris. Mais après la Révolution de 1848, le père d’Amédée Jullien craignit pour son fils les troubles de la capitale. Une étude de notaire s’était libérée non loin de Clamecy, à Tannay, localité d’un peu plus d’un millier d’habitants ; ses produits annuels étaient estimés en moyenne à dix mille cent francs. Le père d’Amédée Jullien l’acheta pour soixante-six mille francs. Sans protester contre cette décision, Amédée Jullien quitta Paris pour s’installer à Tannay et prendre possession de l’étude. Il y rédigea ses premiers actes en septembre 1849. Le fonds conservé aux archives départementales de la Nièvre fait entrevoir le travail quotidien du jeune notaire, qui consista en contrats de mariage, dépôts d’obligations, donations, échanges, mainlevées, partages, procès-verbaux de bornage, procurations, quittances, testaments… En 1859, la succession du comte Élie de Pontcarré, qui possédait le château de Lys, près de Tannay, et qui laissait pour deux millions de biens, apporta à Amédée Jullien un « bénéfice exceptionnel » dans sa carrière.

Peu après son installation à Tannay, Amédée Jullien avait épousé en juillet 1850 Palmyre Piétresson Saint-Aubin, issue d’une famille de notables d’Entrains-sur-Nohain. De cette union, il eut trois filles, dont une seule, Marguerite, parvint à l’âge adulte.

Pendant la période où il fut notaire, les activités artistiques d’Amédée Jullien ne sont connues que par son envoi d’un tableau représentant les Environs de Lormes au Salon parisien de 1852 et par l’édition d’un album de gravures en 1856. Le temps qu’il pouvait consacrer à l’art était certainement réduit par son activité professionnelle, mais aussi par des fonctions édilitaires qu’il assuma à Tannay. Élu conseiller municipal en septembre 1852, Amédée Jullien fut nommé maire par le préfet en juin 1854. Ses connaissances juridiques et son esprit pratique lui furent utiles dans le quotidien de l’administration municipale. Loyal envers l’Empire, il entretint de bonnes relations avec la préfecture et le curé de la localité. Cependant, l’opposition de plusieurs conseillers, parmi lesquels se trouvait l’autre notaire de Tannay, incita Amédée Jullien à démissionner dès 1856. Le préfet et le sous-préfet obtinrent de lui qu’il continue ses fonctions jusqu’en 1861. Cette année-là, pour que sa fille reçoive à Paris la meilleure formation, Amédée Jullien quitta Tannay : il avait vendu son étude notariale en décembre 1860, pour soixante-quinze mille francs.

Julien_01Dans la capitale, une nouvelle vie s’offrait à lui. Tout en assumant les fonctions d’administrateur de la caisse d’épargne, de plusieurs grandes compagnies industrielles, et de censeur d’une compagnie d’assurances, il put s’adonner à nouveau à la peinture. Il exposa ses oeuvres presque chaque année au Salon parisien, de 1863 à 1881. En 1871, il se fit initier à Nevers à la peinture sur faïence. À la belle saison, il revenait dans la Nièvre, dans la famille de son épouse, à Entrains-sur-Nohain. Il fit dans cette ancienne localité gallo-romaine plusieurs découvertes archéologiques. En 1876, un musée se fonda à Clamecy ; les fonctions de directeur furent confiées à Amédée Jullien, qui les prit à coeur et constitua en quelques années les premières collections, grâce à des achats et des dons. Il offrit à l’établissement plusieurs de ses oeuvres, de même qu’il en avait donné aux musées de Nevers et de Varzy. Il se fit aussi historien de son département natal en publiant en 1883 l’ouvrage La Nièvre à travers le passé. Amédée Jullien envisageait encore beaucoup d’autres projets quand, lors d’un séjour à Clamecy pour l’aménagement du musée, il fut frappé d’une congestion cérébrale, dont il mourut le 10 novembre 1887, quelques jours avant ses soixante-huit ans. Ainsi s’achevait, presque au lieu où elle avait commencé, l’existence d’un homme qui avait assumé avec une incontestable aisance des activités aussi variées que celles de notaire, maire, peintre, graveur, historien et directeur de musée.

Pierre-Antoine JACQUIN
Directeur du musée de Clamecy
Docteur de l’École pratique des hautes études

Module iPhone
ARTICLES
Actualités
Portraits
Tribune Libre
Événements sportifs
Classique Notaires
JurisCup
Mouvements
Mouvements de notaires
LIENS