Maître Sébastien Yarzabal :
« parler basque comme un bien commun »

Basque
Faute de pouvoir se déplacer dans ces majestueuses montagnes pyrénéennes, en plein Pays Basque, aux abords de la frontière espagnole, Maître Sébastien Yarzabal (36 ans), notaire à Saint-Pée-sur-Nivelle dans les Pyrénées-Atlantiques, nous accueille chaleureusement par téléphone pour évoquer l’utilisation de la langue basque au sein de son étude. Son accent du Sud-Ouest, mélodieux, contient une force de conviction contagieuse, partie intégrante d’un territoire et d’un patrimoine culturel qu’il revendique à tout moment. Notre conversation a lieu pendant les Fêtes de Saint-Pée-sur-Nivelle (elles durent cinq jours, et sollicitent toute l’attention et la participation du village).

Maître Sébastien Yarzabal, notaire à Saint-Pée-sur-Nivelle,
au Pays Basque : « je suis vraiment un notaire A.O.C. »

 

Depuis quand parlez-vous le basque ?

C’est ma langue maternelle. Celle que j’utilisais le plus étant petit ; mes grands-parents utilisaient essentiellement le basque au quotidien. Ce n’est qu’à partir du cours préparatoire que j’ai commencé à mieux maîtriser le français, qui a pris peu à peu le pas sur le basque. Ma scolarité s’est déroulée dans une structure novatrice. Les cours étaient dispensés en basque et en français. Ce sont des ikas-bi. Pour l’époque c’était très original, maintenant cela s’est généralisé, il existe aussi des écoles en immersion totale, les Ikastola, qui dispensent, de la maternelle à la Terminale, des cours uniquement en basque.

Ma formation est intermédiaire, car dans les années 80, le « côté basque » était très connoté politiquement, et mes parents ont choisi cette solution pour me permettre de maintenir l’euskara (langue basque), sans que ce soit pernicieux. Depuis les choses ont évidement évolué, tant du côté français qu’espagnol.

Professionnellement, vous avez dû mettre l’euskara entre parenthèses ?

C’est exact. Techniquement, nous sommes formés en français. Il est parfois très compliqué d’échanger totalement en basque lors d’un rendez-vous; il faut trouver des termes substitutifs, ou faire comme en « franglais », le texte général est en basque mais les termes juridiques sont en français.

J’avais fait, pendant un temps, une recherche pour trouver la traduction en basque de certains termes juridiques, finalement c’était plus de l’ordre de la métaphore qu’une translation rigoureuse du terme. Du côté espagnol, le basque est une langue officielle, et pour être fonctionnaire au sein de l’administration locale il faut maîtriser la langue. Là-bas, l’évolution de l’utilisation du basque est beaucoup plus avancée que du côté français. Ici, la règle constitutionnelle qui instaure le français comme langue juridique et administrative est incontournable. Pour notre quotidien, l’utilisation du basque est un moyen de faciliter les échanges, de créer un lien, une confiance, cependant les actes sont en français.

Vous utilisez l’euskara dans votre profession au quotidien cela est-il naturel pour vous ?

Absolument. Il se trouve, en plus, que je suis notaire dans la commune où j’ai été élevé, j’ai la chance d’y travailler et de m’y être installé. En ce sens je suis vraiment un « notaire A.O.C. », on est en plein dedans (rires). Je suis un pur produit d’ici. Certaines personnes me connaissent depuis l’enfance, il y a un noyau dur « bascophone »; avec le temps, le bourg a vécu une forte croissance démographique avec des gens provenant de tous les horizons. Il est vrai que le basque est une langue plus familière pour les personnes des générations à partir de 50-60 ans. Pour ma génération, celle des trentenaires, c’est plus rare, plus ponctuel. Avec des personnes d’un certain âge, je peux être amené à mener un rendez-vous totalement en basque, car elles savent que je le maîtrise. Dans notre environnement professionnel, je suis une exception, beaucoup de mes confrères ne sont pas nés ici. C’est juste un petit plus, mais si je ne le parlais pas, cela ne poserait pas de problème vis-à-vis de la clientèle.

Est-ce que parler le basque vous permet de mieux comprendre les besoins des gens ou de faire comprendre certaines notions de droit aux personnes issues de ce territoire ?

Faire comprendre, c’est évident. Certains de mes clients d’un certain âge pensent en basque, il y a des termes comme la préemption, qui peuvent ne pas être compris de la même manière si on les dit en français ou en basque. Le terme et l’objectif sont les mêmes, mais familièrement on a un ressenti différent. Quand il y a un message à faire passer, c’est un plus d’utiliser le basque, car notre activité traite tout de même beaucoup d’aspects du privé, du droit de la famille, du droit immobilier et parfois, pour mieux faire appréhender les choses, le dire en basque est un bon moyen pour expliquer, c’est une façon plus intime.

Vous écrivez sûrement le basque, vous arrive-il dans des cas très précis de traduire des actes en basque ?

Pas un acte dans sa totalité, mais oui, il m’arrive de faire des courriers en basque. Nous sommes à 8 km de la frontière espagnole, le basque y est une réalité beaucoup plus prégnante que du côté français. Certains de nos clients viennent de Navarre, de la Communauté autonome basque, pour qui écrire et échanger en basque est normal. Mon associé, pour sa part, maîtrise bien l’espagnol, c’est un peu le même sujet.

Au sein de votre étude parlez-vous le basque ?

Il fut un temps où des collaborateurs le parlaient, mais là je suis le « dernier des mohicans ». Dans notre étude, les collaborateurs proviennent de tous les horizons. Mon associé le parlait enfant, maintenant plus du tout, mais il comprend beaucoup de termes, on peut donc utiliser un mot ou une phrase, quand on se chambre ou que l’on dit des bêtises, c’est plus une ponctuation, pour les échanges au quotidien, nous avons des personnes de Bretagne, de l’Oise, de Toulouse qui ne maîtrisent pas forcément le basque.

Est-ce une valeur ajoutée pour votre étude ?

Oui, cela peut être une valeur ajoutée pour attirer certains clients. Cela crée un lien particulier, donc c’est une chance que d’autres n’ont pas forcément, cela évite aussi une déperdition de clientèle, car il y a tout de même cet attachement culturel qui est très important.

Diriez-vous que le fait de parler la langue de sa région est plutôt en régression ou en progression ?

D’un point de vue scolaire c’est en progression; les écoles en immersion totale sont en train de se multiplier, il y a de plus en plus d’élèves dans les Ikastola, mais il y a toujours cette réalité scolaire et celle du quotidien. Des élèves en immersion totale parlent en français dans la cour de récréation, il faut dire aussi que beaucoup de parents ne le parlent pas, donc on est vraiment dans une volonté, de réintégrer le basque. J’ai par exemple une collaboratrice de l’Oise, dont les enfants sont dans une école où ils parlent basque, mais cela reste vraiment intra-scolaire. J’ai plutôt tendance à penser qu’il y a une régression, tout simplement parce que la génération qui employait essentiellement le basque, est en train de nous quitter au fur et à mesure. Et la génération qui suit, ne le maîtrise pas forcément très bien. Notre rapport à l’administration, aux banques, au travail, la réalité qui nous domine est en français. Pour moi c’est une marque de résistance que de continuer à parler basque au quotidien. Il y a cependant une évolution : les mairies forment de plus en plus leurs personnels; les commerces ont un label qui a été mis en place où il est inscrit « Euskara Badakigu », qui veut dire « nous parlons le basque »; il y a aussi l’eusko, la monnaie locale, qui vient d’être mise en place et fonctionne très bien, notamment pour les circuits courts avec les producteurs locaux et avec cette volonté de régionaliser un petit peu plus les échanges mais il y a toujours une réalité politique qui nous domine… On parle de République, une et indivisible, mais le système alsacien, à travers le concordat et la relation papale qui date depuis 1802 est toujours en vigueur; nous avons un Service de Publicité Foncière (SPF) alors qu’en Alsace, c’est le Livre Foncier, il y a donc des exceptions qui existent alors que l’on nous assure que la République est une et indivisible. Nos politiques doivent évoluer… la Révolution Française c’est terminé, il faut tourner la page d’un jacobinisme exacerbé.

Les langues régionales n’ont une utilité économique que toute relative, mais que fait-on de la culture, de la richesse intellectuelle du patrimoine Basque? Il faudrait un peu changer de logiciel et arrêter de voir du politique partout. Et ce microcosme parisien qui est désespérant !!!…

Quelle vision avez-vous du notariat aujourd’hui ?

Quelle vision du notariat? Je ne suis pas totalement désespéré, à 36 ans ce serait dommage (rires), mais il est clair que, depuis les évènements consécutifs au projet de la Loi Macron, je pense que le notariat a pris énormément de coups, et une réaction épidermique a pu être constatée; des protections et des boucliers se sont levés. C’était une réaction d’autant plus épidermique que l’on avait une incompréhension totale de la part de nos gouvernants, sans même parler des fonctionnaires qui les entourent; nous le ressentons clairement au quotidien au travers des dires mêmes de nos clients; nous sommes gouvernés par des gens complètement déconnectés de la réalité, qui ne cherchent pas à la connaître parce qu’ils pensent détenir la vérité, cela devient un problème majeur. Notre société est de plus en plus « intellectuelle », je veux dire par là que le savoir est de plus en plus partagé. On pourrait rédiger, à mon avis, d’excellentes lois du fait de ce savoir partagé, mais nous sommes face à une élite d’« ayatollah ». Il y a une réelle volonté de faire évoluer les choses, mais eux-mêmes ne comprennent pas toutes les subtilités des sujets qu’ils veulent réformer.

Le notariat dispose d’une organisation pyramidale parfaite, avec une grande capacité de mobilisation, (on l’a vu lorsque le président du CSN nous a envoyé un mail, tous les notaires de France ont réagi immédiatement). Cette capacité d’information et de mobilisation est très peu utilisée par le gouvernement pour l’intérêt de tous. Quand on lit l’avis de l’Autorité de la concurrence à propos de notre profession sorti dernièrement, c’est désespérant, je n’arrive pas à admettre que l’on soit à la merci de gens qui ne comprennent rien au notariat français.

Donc de ce point de vue-là, je suis très inquiet, mais il faut aussi positiver, et trouver dans ces difficultés, une raison d’évoluer dans nos services, dans nos manières de travailler, dans notre marché. Nous avons compris que nous sommes avant tout, des chefs d’entreprises. Notre vision de la profession était très protocolaire. Ce n’est plus vrai pour les nouvelles générations. Il ne faut pas subir les évolutions, mais être à l’avant-garde pour faire « bouger nos lignes ». Certains confrères ne veulent pas passer à l’acte électronique au nom de l’authenticité… Je leur demande « en quoi le papier et votre signature avec un stylo créent une authenticité? ». L’authenticité, c’est la pédagogie que vous apportez, c’est l’explication de la convention que vous faites signer aux parties. Les choses évolueront, mais à mon avis, nous avons intérêt à le faire très vite. On a eu la chance d’avoir des instances professionnelles qui ont permis la dématérialisation, nous plaçant très en avance par rapport à d’autres professions juridiques, mais il faut absolument continuer à évoluer et changer notre propre « logiciel ». Le gouvernement devrait aussi changer le sien. Tout le monde doit finalement se remettre en cause. Ne soyons pas dupes… mais restons positifs (rires).

Loin du tumulte des grandes villes, Maître Yarzabal est sans nul doute très conscient de l’importance de protéger ce bien commun qu’est la langue basque et de revendiquer le territoire qui l’a vu naître, non seulement à travers son métier, mais aussi au quotidien, dans la vie qui l’entoure. On comprend que la fête bat son plein, on imagine parfaitement le village qui s’anime à l’extérieur de l’étude, il est temps pour Maitre Yarzabal de retrouver les autres habitants pour la fête. Et que vive la tradition!!!

Propos recueillis par Diego Olivares

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