Maître Mamelli : « Signore, dite mi lu in corsu* »
Maître Mamelli a tout de suite accepté de nous parler de ce sujet qu’elle connait bien. Toutefois, elle me dit ne pas parler parfaitement le Corse, mais bien le comprendre. Sa fonction lui permet de bien connaitre tous ses confrères dont un certain nombre parle régulièrement Corse au sein de leur étude que cela soit avec leurs collaborateurs ou avec leurs clients, souvent les plus âgés. Nous sommes au téléphone, hélas, je n’ai pu me rendre en Corse, pour nos 45 mn d’entretien, il faut être raisonnable, mais le site de l’étude, à Saint Florent près du merveilleux désert des Agriates me tentait vraiment tant l’endroit est paradisiaque. La voix douce et posée de Maître Mamelli retentit dans le haut-parleur du téléphone, notre conversation va se dérouler dans un climat chaleureux, calme avec une grande écoute de la part de madame la Présidente.
Vous êtes présidente de la chambre de Haute-Corse depuis mai ?
Oui c’est une super expérience, cela me permet de découvrir « l’autre côté de la profession » et pour être honnête, nous ne sommes pas si nombreux en Haute-Corse, il faut donc envisager d’occuper la fonction à un moment ou un autre.
Notre étude n’est pas familiale depuis longtemps, ma soeur et moi sommes les successeurs de notre père, mais auparavant, cette étude plus que centenaire a vu beaucoup de notaires passer.
Quelle est votre relation à la langue Corse ?
Je ne le parle pas bien, bien que je fasse des progrès… Mais je le comprends.
Cela s’explique car pour notre génération le corse était appris en famille, à la maison par les grands parents. J’ai perdu très tôt les miens et ceux qui me restaient n’étaient pas Corses.
Aujourd’hui, c’est l’inverse et le Corse étant enseigné officiellement, de plus en plus de jeunes le parlent.
Il n’empêche que s’exprimer en Corse implique toujours pour ceux qui le font, une notion de discrétion par rapport à son entourage, une idée de secret, pour ne pas être entendu des « étrangers »
Officiellement le Corse, qui est une langue à part entière avec sa grammaire, ses expressions, son vocabulaire propre, est utilisé maintenant pour les infos, sur France 3 par exemple pour le journal régional, ou sur radio bleu…
La majorité de mes confrères de Haute-Corse parle couramment le Corse, certains s’expriment plutôt en Corse au sein de leur étude, que cela soit avec leurs collaborateurs ou leurs clients, c’est le cas du notaire de Corte, mais c’est le centre de la Corse, dans un endroit très marqué. C’est nécessaire mais pas indispensable. C’est une valeur ajoutée, car cela crée des liens. Le notaire Corse connait les histoires de chacune des familles et peut ainsi mieux gérer les dossiers….
Vous arrive t-il d’avoir à traduire un acte du Corse au Français ou inversement ?
Au sein de l’étude, le fait de comprendre le Corse, et pour certains de mes collaborateurs, de le parler, nous permet de mieux appréhender les attentes de nos clients, d’anticiper leurs demandes, de comprendre leurs inquiétudes.
On retrouve d’ailleurs d’anciens actes où l’on comprend vite qu’ils résultent d’une traduction directe du Corse au Français, car certaines expressions littérales Corses sont intraduisibles et donnent au texte Français une sorte d’incohérence.
Lors de rendez-vous, surtout pour les personnes âgées, nous passons par le Corse pour leur permettre de mieux comprendre ce que nous proposons.
Ainsi, pour expliquer à une veuve au moment de la succession qu’elle va garder l‘usufruit, si ses enfants le lui disent en Corse, « Si tu u patrone » cela sera traduit par « tu restes la patronne » cela la rassure et elle signe volontiers…
Parler le Corse donne une plus grande liberté, car nos clients les plus âgés livrent plus facilement leurs secrets en Corse, comme si la confidentialité en était intensifiée.
C’est souvent le cas pour la rédaction du testament, au cas où on « pourrait les entendre », ils donnent leurs instructions en Corse.
Ainsi les pinzuti* (Français du continent) ne peuvent entrer dans leurs secrets.
Généralement cela ne pose pas non plus de problème, et n’est pas pénalisant, tout le monde parle Français, parfois on a des petites scènes où le client peut demander qu’on nomme le village par son nom Corse, et lui expliquer que cela n’est pas possible, que la langue de l’acte est le Français, n’est pas toujours bienvenu, mais cela n’est jamais très grave…
Certains actes anciens sont rédigés en Génois, puisque la Corse fut longtemps sous la domination de la République de Gênes. C’est une langue très proche du Corse et on essaie de les traduire.
Dans votre étude parle-t-on beaucoup le Corse ? Pour vous est-ce un frein à l’embauche de ne pas parler et /ou comprendre le Corse ?
Certains de mes collaborateurs s’expriment en Corse en interne et lors de leurs rendez-vous. D’autres pas du-tout. Pour moi ce n’est en aucun cas une condition à l’embauche, ce n’est d’ailleurs pas une question que je pose.
Comment vous situez-vous par rapport à vos confrères parlant ou ne parlant pas le Corse ?
Cela ne pose pas vraiment de problèmes, beaucoup de mes confrères parlent Corse entre eux, cependant toutes nos réunions et assemblées se tiennent en Français. On utilisera le Corse lors des moments festifs ou de détente. Tout ce qui est travail « officiel » est en Français.
Il est vrai qu’il est important de parler corse.
Après mes études à Paris, de retour en Corse pour mon stage, les collaborateurs et les notaires prenaient un malin plaisir à parler Corse entre eux pour ne pas que je comprenne et pour créer une intimité supplémentaire entre eux.
J’ai été élue présidente malgré cela et bien que je sois une femme (là, je sais que Maître Mamelli a le sourire aux lèvres, là-bas dans son bureau ensoleillé, c’est sans doute une gageure en Corse… une femme aux commandes !).
Es-ce une valeur ajoutée pour l’étude ?
C’est une valeur ajoutée d’être Corse, en effet il y a une susceptibilité assez exaltée en Corse, bien la connaître permet de ne pas s’étonner de réactions parfois un peu excessives et on peut donc trouver le biais pour aborder le sujet différemment si on comprend « l’âme Corse ».
Le fait de parler Corse permettra de plus de glisser un mot, une phrase pour faire comprendre que l’on est du même « bord ».
Diriez vous que l’usage du Corse est en progression ?
Oui c’est le cas. Mais cela ne changera pas notre pratique…Quoique certains de mes confrères aimeraient rédiger leurs actes en Corse.
Il y a t-il un militantisme dans ce sens ?
Avec l’élection de la nouvelle assemblée Corse, le bilinguisme est devenu de plus en plus présent.
Même au sein des administrations (mairies, Services des impôts….) des documents sont rédigés en français et en Corse.
Et cela a tendance à s’étendre.
Et pour vous ? en tant que notaire ? et présidente de chambre ?
Certes, cela me tient à cœur, mais il me semble qu’il y a tant de choses plus essentielles à faire avant cela. Je ne m’y opposerais pas, mais je ne tiens pas absolument au bilinguisme.
Quelle vision avez vous du notariat d’aujourd’hui ?
Aujourd’hui je déplore que la notion de confraternité s’amoindrisse
J’ai le sentiment que nous devenons des concurrents et chacun veut tirer la couverture à soi
Avec la loi Macron, il y aura un notariat à deux vitesses :
Les notaires d’avant, et les « notaires Macron » (celui qui aura bénéficié de la liberté d’installation).
Il y a déjà une « fracture » entre les notaires Parisiens et ceux des régions, cela rajoute encore un obstacle à cette confraternité.
Le langage universel du notariat ne pourra plus exister, je crains que nous n’ayons plus les mêmes objectifs.
Peut être dis-je cela car j’ai toujours été baignée dans le notariat et entendais mon père prôner ces valeurs.
Cependant, je ne vois pas tout en gris et me réjouis des fortes avancées technologiques de la profession, permettant une meilleure qualité des services. Cela a été un progrès vraiment important.
En conclusion Maitre Mamelli est un notaire optimiste, heureuse de travailler dans l’étude familiale, dans sa Corse magnifique. Et c’est bien certain qu’elle œuvre à faire avancer sa compagnie sur une route de progrès et de confraternité toujours renouvelée.
Propos recueillis par Caroline Lambert
* « Maître, dîtes-le moi en Corse »
** Pinzutis : vient du fait que les soldats français de Louis XV qui ont envahi la Corse en 1768 portaient des tricornes (Chapeau à trois pointes) les corse les appelaient les « Pinzuti » (= pointus). Depuis, tous les continentaux sont des pinzutis…