Interview Gérard Samson :
un ex-notaire viticulteur
Au cœur de la Normandie, un coteau inspiré est planté d’un vignoble invraisemblable. Cette vigne défiant toutes les idées reçues est l’œuvre d’un notaire féru de viticulture, tenaillé depuis toujours par l’envie de faire son propre vin. Tout aussi romanesque que son vignoble, Gérard Samson est un homme étonnant.
Cultivé, l’intonation précieuse, d’allure élégante, sans doute ultimes traces du notable de Saint-Pierre-sur-Dive, ce n’est pas vraiment un vigneron comme les autres. Féru d’histoire, il retrouve dans le « Fonds normand » l’emplacement précis du vignoble de Grisy, au sud de Caen. La carte de Cassini (1761), géographe de Louis XV, confirme sa notoriété locale et surtout une véritable antériorité que peu de vignobles seraient en droit de revendiquer…
Il m’accueille avec amabilité, il fait un temps de rêve et le joli coteau viticole resplendit d’une lumière dorée, on sent l’homme habitué à communiquer, d’innombrables articles traînent sur les tables de sa salle de dégustation. Mais c’est tout à son honneur, il s’apprête à m’offrir deux heures de son temps et sans doute répéter une fois de plus son histoire étonnante.
« Une vocation atavique et précoce »
Ma famille était d’Argenteuil en Ile-de-France, j’y suis né. Mes ancêtres étaient vignerons de génération en génération. En effet, Argenteuil était en 1800 la plus grande commune viticole de France avec 1200 ha de vignes, et ce jusqu’en 1914.
C’est ainsi que dans un acte de mariage de la 6me génération de ma famille, on peut lire des mariés et leurs témoins la mention : « tous vignerons »
A 15 ans, je plante mon premier cep de raisin de table dans le jardin familial.
« Naturalisé Normand à 3 ans »
Puis, progressivement, l’urbanisme galopant provoque moult expropriations et mes parents liquident leurs biens en région Parisienne pour partir s’installer dans une ferme au sud de Caen.
J’ai 3 ans lorsque je suis « naturalisé Normand ».
Je fais mon droit à Caen, en 1979, j’obtiens ma maîtrise et je commence la formation de notaire.
Mon père m’oblige à embrasser cette profession
Au prétexte qu’à chacune des générations de mes ancêtres Alsaciens (du côté de sa mère) il y a un notaire.
Moi qui voulais faire médecine, car j’étais doué et pouvait prétendre à presque tout, je dois céder à la pression paternelle. Non que le droit me déplaise, je le prends comme un surcroît de culture générale et je l’ai donc étudié avec bonne humeur.
De plus mes divers stages me donnent un aperçu très positif du notariat.
Cependant, lors d’un stage plus long à Honfleur, je souffre de claustrophobie à l’étude. Je suis alors en réaction contre l’obligation paternelle, mon amour pour la nature resurgit brutalement, j’abandonne tout et pars en Bourgogne, à l’école des vins de Beaune, faire une formation de viticulture-oenologie.
Ma vocation viticole s’affirme…
Mais il me faut des fonds et aux dires de mes amis déjà installés dans le notariat, c’est là qu’est la solution : on gagne bien sa vie à l’étude.
J’aime mon métier
Alors, j’y reviens, passe mon diplôme et m’installe à Saint-Pierre-sur-Dives.
Je travaillerai pour m’acheter un vignoble
J’aime assez ce métier pour être major de ma promo lors de l’obtention de mon diplôme, pour acheter dans la foulée les parts de mon prédécesseur qui, signe du destin, est à 2 pas du terroir viticole ancien dont je connais l’existence par mes recherches sur le vin en Normandie, dans les archives de Caen.
Il s’avère que c’est le seul et unique endroit viticole possible en Normandie*
Evidemment je ne l’achète pas pour cette seule raison, c’est une bonne étude, et de 1990 à 2010, tout se passe très bien, l’étude se développe, les chiffres montent.
Je suis enthousiaste, et j’exerce avec conscience. J’aime les rapports humains.
Dans une petite ville, vous n’êtes pas seulement le confident de vos clients mais aussi le juge de paix, contributeur à l’entente sociale dans un lieu donné, on évite le recours à la justice et les affres d’un procès. En effet dans une petite ville, tous les clients viennent vous voir, vous les connaissez, vous savez les concilier.
La fin du notariat, ce n’est pas seulement la loi Macron
L’esprit du notariat est miné par l’opposition entre ses membres, qui perdent de vue que leur mission est d’obtenir l’équilibre du contrat et non de prendre partie pour son client.
Le notaire est là pour appliquer le droit et le dire.
Mon rêve commence à prendre forme
En 1995, j’achète les 9 ha de la parcelle « soleil », sur laquelle je rêve de planter ma vigne.
Et je lance une petite expérimentation après avoir bataillé avec les services du ministère de l’agriculture pour qui « l’interdiction de toute plantation viticole en dehors des zones déjà plantées » est un évangile.
Cette expérimentation n’avait jusqu’alors été accordée qu’à des organismes publics et seulement 21 dossiers avaient été acceptés en 20 ans.
Soutenu par mes anciens professeurs de Beaune qui reconnaissent la qualité de ma démarche et grâce à ma connaissance juridique, j’obtiens ce droit et en juin 1995, je plante un demi-hectare, ce vignoble d’origine médiévale, détruit à la révolution, renaît.
Pendant ce temps, mon étude se développe, je m’engage dans et pour les instances, à la Chambre, à l’Assemblée de liaison et à l’INERE. J’ai aimé rédiger les minutes des congrès à Deauville.
Je ne tiens pas à mélanger les sujets et refuse la médiatisation autour des arpents du soleil, mais Pierre Lemée, notaire à Pont l’Evêque me force la main et j’ai un rendez-vous à radio bleue Normandie, le but est de faire de la publicité pour le vignoble mais surtout de donner une image positive du notaire…
En 2009, je vends mes parts de SCP et accompagne les nouveaux notaires jusqu’en 2010 en tant que notaire salarié.
Aujourd’hui il n’est plus possible d’exercer la profession de notaire dans la pureté de ses principes
Finalement, même si j’adhère aux précieuses valeurs du notariat, parfait modèle d’organisation juridique avant la loi Macron, mécanique impeccable au début de mon exercice, je considère qu’elle a été progressivement dénaturée par un législateur qui en ignore l’essence même et plus généralement l’esprit qui préside au droit Français.
Quelle amertume devant ce gâchis, ceux qui l’ont organisé portent une grande responsabilité envers notre société qu’ils dégradent.
Et je n’en pouvais plus de ces clients qui refusaient d’être conciliés et allaient au pugilat judiciaire en remettant en cause l’acte alors que tout avait été mis en œuvre pour que leur accord soit éclairé et véritable.
Entre temps le vignoble s’est développé, il me faut alors faire un choix
En 2009, il y a 3 ha en production, le chaix est construit, et mon idée première qui était de pratiquer les deux métiers s’avère impossible, on ne peut être notaire à temps partiel, on l’est ou non.
Il faut trancher : je ne veux pas abandonner ma vigne.
Mais pour marquer mon attachement à ma profession, je deviens alors le plus jeune notaire honoraire de France à 53 ans, et je continue à aller aux assemblées générales pour être en continuité dans ma vie (je déteste les ruptures).
Pour en terminer avec le notariat que diriez-vous à un jeune notaire ?
Ils devront s’adapter et vendre leur âme à Macron, ils ne seront plus vraiment dans le domaine notarial.
J’étais prosélyte à l’époque du vrai notariat, je le suis beaucoup moins, être notaire est une sorte de sacerdoce dans un monde hostile à cet esprit, donc il faut vraiment y croire si l’on veut devenir un notaire digne de ce nom.
Enfin, je deviens viticulteur à part entière, « je rends mon cartable » et laisse tomber le costume pour une paire de bottes et un jean….
Depuis six ans, je suis vigneron à temps complet et mon domaine s’étend sur 6,6 ha de vignoble. Sept cépages principaux le composent. Certains sont plantés à titre expérimental et d’autres se sont étendus progressivement de par leur adaptation parfaite à ce terroir, ainsi : Le pinot noir, l’auxerrois, le pinot gris et le chardonnay.
Aujourd’hui je produis 35 à 40 000 bouteilles de 50cl, l’équilibre économique est partiellement atteint.
Pour une création ex nihilo, dans un endroit « inconnu » des connaisseurs, tout est encore à découvrir, c’est passionnant mais cela constitue aussi un frein économique et il m’est impossible d’en vivre totalement.
Il faut environ 30 ans pour être à l’optimum de la production.
Ce n’est d’ailleurs pas mon moteur, bien que je reste vigilant. C’est une passion, un vrai métier. Depuis 15 ans je figure dans le guide Hachette des vins de France**
J’ai obtenu la qualification HVE (haute valeur environnementale).
Comme le notaire, le viticulteur est un homme orchestre, qui outre ses compétences en viticulture et œnologie doit avoir une capacité relationnelle importante, on ne fait rien sans les autres. Cela a conduit à mon insertion dans le monde touristique local.
Ainsi, j’organise des manifestations dans mon chais, j’expose des œuvres d’art, j’accueillerai prochainement une troupe de théâtre et un festival de musique, cela n’est pas que de la communication, mais aussi un art de vivre.
Par ailleurs j’accueille beaucoup de visiteurs uniquement venus là pour mon vignoble, ainsi une délégation de japonais.
Vous êtes un homme heureux ?
Quand je me lève le matin, je suis heureux d’aller à ma vigne, ce n’était pas toujours le cas avant.
Je ne regrette rien, c’est une joie permanente. Sur le plan intellectuel j’apprends tous les jours, je suis en immersion totale dans la nature.
Pour moi, vivre en ville est contre nature. Vous les parisiens et autres citadins, vous vous leurrez en croyant que l’on peut être heureux dans une ville.
* Les Arpents du soleil. Un microclimat sec et chaud, un côteau orienté au Sud et un sol exceptionnel (Rendzine anthropique sur Bathonien supérieur) digne des plus grands crus expliquent leur succès.
De l’époque médiévale à la fin du XVIIIe siècle, déjà un vignoble y prospéra. Les anciens, avec leur sens inné de la nature, ont appelé ce site idéalement exposé « Le Soleil ».
** Depuis leur premier millésime, le 1998, immédiatement sélectionné, mes vins l’ont été quinze fois, dont une avec un « Coup de Cœur ».
Egalement le Challenge International de Bourg-sur-Gironde, le principal concours international organisé en France, leur a décerné trois médailles de bronze en quatre ans.
Le dernier né, le rouge issu du pinot noir, a déjà reçu trois « Prix des Vinalies », concours organisé par les Œnologues de France lors de leur congrès annuel.
Depuis le millésime 2009 toutes les cuvées sont en Indication Géographique Protégée « Vin de pays du Calvados », et depuis le 2011 « Vin de pays du Calvados-Grisy ».
Caroline Lambert