Maître Philippe Bourdel : « Amour du travail bien fait, motivation et bienveillance »

Il est 19 h lorsque j’accède au 25e étage de la tour Cristal qu’occupe tout entier l’étude Bourdel et associés. Les bureaux sont flambant neufs, et la vue imprenable sur la Seine et les lumières de la capitale. Nous sommes dans une étude du XXIe siècle… La question est de savoir si outre les locaux, le management de l’étude est lui aussi novateur.

Je suis reçue à l’heure dite sans une minute de retard (ce qui, à ma connaissance, n’est pas chose habituelle chez les notaires), par Philippe Bourdel sortant d’une réunion que je l’apercevais animer derrière les parois de verre sablé d’une salle de réunion.

Puisque je manifeste mon intérêt pour l’architecture du lieu, Maître Bourdel me le fait visiter, tout le plateau de la tour a été aménagé en fonction de la demande des intéressés et de l’ergonomie nécessaire à chacun des postes de l’étude. Les couleurs sont douces, il y a un open space pour les clercs et les secrétaires, des bureaux plus ou moins grands pour la compta, les formalités, les associés, tel l’un d’eux qui a choisi un bureau double pour travailler avec son proche collaborateur.
La cuisine aménagée jouxtant un baby-foot, la salle d’attente ouverte, spacieuse et donnant sur la Seine témoignent du souci du bien-être des clients comme des collaborateurs.
J’ai déjà une partie de ma réponse avant même de l’avoir formulée.

De retour dans son bureau, nous entrons dans le vif du sujet. Pour lui qu’est-ce que le savoir-être du notaire ? Comment considère-t-il son rapport avec ses collaborateurs ? Ses clients ?

Donc maître, avez-vous des clients ?

Je lis alors dans son regard une sorte de doute : pourquoi perdre son temps avec quelqu’un qui pose des questions aussi stupides ?
« Mais oui évidemment j’ai des clients… quel notaire n’a pas de clients ? »

J’essaie de mieux expliquer le sens de ma question, certains de vos confrères considèrent plutôt qu’ils sont en face « d’usagers du droit », que puisqu’il y a obligation de passer devant notaire on ne peut les considérer comme clients au sens habituel…

Mais il confirme : « oui, j’ai des clients, et cette appellation ne nécessite d’ailleurs pas toujours un lien financier, j’ai des clients, mais parfois des patients, certaines fois des « paroissiens ». Et si même cela n’était pas le cas, la loi Macron nous le rappelle en nous faisant tomber dans le code du commerce, donc oui nous avons des clients. »

Ajoutons à cela que Maître Philippe Bourdel s’est spécialisé en droit de la famille, notamment pour pouvoir suivre les clients immémoriaux de l’étude. Il considère que « l’organisation patrimoniale au service de sa clientèle assure à celle-ci une anticipation et un développement serein et sécurisé de ses actifs. A ce titre il s’est spécialisé dans le patrimoine des personnes atteintes d’un handicap. Une analyse spécifique et personnalisée leur est ainsi réservée. »

Cependant, il reconnait que lors d’une formation à la chambre qui avait pour titre « Réinventons l’étude du 21ème siècle » les deux tiers des notaires présents étaient incapables de répondre à la question du formateur : Combien avez-vous de clients ? Qui sont-ils ?

Ma question n’est peut-être pas totalement infondée. Mais je suis plutôt venue interviewer Me Bourdel sur la RSE (responsabilité sociale de l’entreprise) notamment en ce qui concerne les employés. Puisqu’il est à l’avant-garde de la certification et ancien Président du Groupe de Pilotage National de la Qualité au Conseil Supérieur du Notariat.

Vous êtes issu d’une famille de notaires depuis plusieurs générations, votre père et grand-père étaient peut-être eux-mêmes déjà très impliqués dans ce sujet ?

Pour avoir travaillé, jeune, dans l’étude de mon père pendant 7 ans avec lui, il avait effectivement grand respect humain pour ses collaborateurs, mais leur bien-être au travail n’était pas réellement un sujet. Il manifestait beaucoup de bienveillance naturellement, mais c’était le patron et il fallait respecter la hiérarchie.

Il y a déjà un certain temps (depuis plus d’une quinzaine d’année), j’ai mis en place un petit déjeuner à l’étude, une fois par mois dans une salle de réunion, avec un bon café et des bons croissants (il insiste : la qualité du moment dépend aussi de la qualité des croissants). Tout le monde est convié, et tout le monde vient.

Il y a parfois un sujet prévu, parfois aucun, c’est pour se voir, se parler, s’informer. Le but est aussi de rassurer, et de-stresser les collaborateurs, il y a tellement de rumeurs et de bruits de couloir dans le notariat…

On se parle souvent de problèmes liés à la certification. Mais les notaires prennent aussi la parole pour dédramatiser certains sujets, par exemple au moment des incertitudes liées à la loi Macron.

Tout le monde peut s’exprimer et le fait. Il n’y a plus ce rapport fortement hiérarchique qui existait auparavant dans les études.

Nous avons démarré cette démarche de qualité il y a maintenant 12 années.

Nous avons travaillé par commissions, tous les sujets étaient abordés, nous avons toujours eu les volontaires nécessaires pour créer les équipes.

La certification a changé la manière de considérer les rapports entre tous les membres de notre étude. Il y a un sentiment général de faire partie d’une communauté, et de participer à l’harmonie globale engendrant de fait un travail mieux accompli.

Aujourd’hui, mes associés et moi sommes des chefs d’orchestre pour que la musique se joue en harmonie, même si la partition change. Ainsi lors du passage à l’acte électronique, anticipation, formations, discussions, ont permis que tout se passe en douceur et rapidement.

Nous avons dû travailler sur le dossier monumental d’un institutionnel qui nous demandait de vendre 400 immeubles en 9 mois. La tâche était énorme, les délais quasi-intenables. Chacun de nos collaborateurs a eu 10/15 immeubles à vendre en plus de son propre travail. Nous avons du travailler les week-ends, certaines nuits, nous n’avons jamais eu aucune récrimination ni aucune difficulté pour faire avancer le travail. Evidemment, il y a avait aussi un intéressement financier mais tout ce temps passé, ces week-end à l’étude relevaient plus de la motivation et de l’esprit d‘équipe que de toute autre chose.

L’important est que tous y trouvent leur compte, certes le travail est fait en temps et en heure, et le client satisfait, mais aussi chacun a progressé en compétence, en connaissance de soi-même et de l’autre.

Dans l’agrément du travail que l’on peut donner, il y a aussi le fait d’éviter de reporter le stress des notaires sur son équipe.

Ainsi la pression de ce client institutionnel était énorme pour nous les notaires qui étions directement à son contact, et c’était très difficile de ne pas le répercuter sur nos collaborateurs… « Non, non tout va bien le client est content, on va y arriver » alors qu’il nous menaçait de manière à peine voilée si les délais n’étaient pas tenus.

Je dis à mes collaborateurs qu’il est important de s’impliquer dans son travail, de le faire au mieux mais d’apprendre aussi à prendre du recul par rapport à certains dossiers.

On échoue parfois, non par un manque de compétence ou de travail mais parce que certains clients sont difficiles à satisfaire.

Vos associés sont-ils tous d’accord avec ces méthodes ?

Non, bien évidemment, cela est parfois source de tension, certains considèrent que la finalité n’est pas là, mais comme en fin de compte, cela renforce la qualité du travail et donc des résultats, ils constatent qu’on aboutit au but recherché, cela clôt la discussion et dissipe les nuages.

Cette ambiance « idéale » doit donc vous permettre de retenir les jeunes talents ?

Le sujet m’intéresse beaucoup, il y a deux écoles possibles : Les retenir coûte que coûte ou les aider à s’épanouir ailleurs si c’est nécessaire.

J’ai abandonné la première car on ne peut promettre des choses que l’on sait ne pouvoir tenir. Ainsi un de nos associés est venu chez nous après avoir attendu plus d’une dizaine d’années que la promesse d’association sans cesse remise de son ancien employeur soit enfin tenue.

Les entretiens d’évaluation permettent d’aider ces jeunes talents à réfléchir, et à progresser au sein des équipes. Lorsqu’on ne peut plus leur offrir d’évolution, on doit les aider à trouver un meilleur lieu…

C’est un bonheur mutuel, lors de ces entretiens, de constater la progression du collaborateur en regardant les entretiens d’évaluation des années précédentes, voir que les objectifs sont atteints et parfois largement dépassés.

La certification permet cela avec « la fiche de mission » de chacun.

Qu’est-ce que je fais ? Qu’attend-t-on de moi ? Qui me remplace lorsque je suis absent ? Qui remplace-je ? Etc.

De telles méthodes rassurent à la fois le collaborateur et son supérieur et permettent une meilleure qualité de travail.

Et tout cela n’est-il pas implicite pour tous vos confrères ?

J’ai donné foule de formations à la chambre sur la qualité, j’ai constaté un grand nombre de réactions différentes, de gens motivés mais tout autant de non motivés, et encore beaucoup d’irréductibles qui ne veulent rien changer.

Un de mes confrères et ami m’a dit un jour : « Je sais que je travaille mal, que mon équipe travaille mal, mais je ne change rien car j’ai encore des clients ».

Que pensez-vous du Plan National d’Action et des ses outils prônés par le CSN ?

Il me semble que cela ne sera pas facile à mettre en place. En effet, du fait de la diversité des études, de leur taille, de leur situation géographiques, du profil des notaires etc.

Ce PNA est une espèce d’ « auberge espagnole » destiné à s’adapter à tout le monde, sorte de plus petit dénominateur commun dans ce que l’on pourrait proposer à chacun. C’est donc au niveau des chambres et instances régionales que tout va se jouer, et aussi au niveau des études, chacun de ces niveaux devant s’approprier ces outils, les adapter et les présenter de la manière la plus pertinente possible.

La loi Macron va créer beaucoup de déception, il y a beaucoup de clercs qui veulent devenir notaires, mais une installation sans fonds propres suffisants, sans réel projet d’entreprise (c’est le sort qui va désigner leurs lieux d’installation) risque de ne pas tenir le choc le temps que se constitue leur clientèle. A défaut, pour pouvoir survivre, il leur faudra une valeur ajoutée importante par rapport à leurs confrères voisins déjà implantés….

Cependant, reconnaissons que cette loi a apporté beaucoup d’espoir à de jeunes diplômés notaires qui s’étaient, jusqu’alors résignés à ne jamais être notaire en titre.

Nous pourrions continuer à parler du sujet pendant des heures tant ce notaire est passionné et je le reconnais passionnant. Mais il est déjà tard, et il est de temps pour Me Bourdel de partir retrouver sa famille et refermer jusqu’à demain la case « étude » ainsi qu’il le conseille à tous ses collaborateurs.

Caroline Lambert

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