Mon étude pour un royaume !

De Périgueux à la Patagonie, l’incroyable histoire d’un clerc de notaire devenu roi.

Etude_01Le 9 janvier 2014, dans une salle de la mairie de la petite commune de Tourtoirac, en Dordogne, se déroulait une cérémonie atypique et solennelle. Ce jour-là, le Prince Antoine IV de la Maison Royale d’Araucanie et de Patagonie prêtait serment. Peu avant, dans la matinée, les obsèques du Prince Philippe d’Araucanie, décédé 4 jours auparavant, se tenaient en présence d’une assistance triste et profondément émue, parmi laquelle se remarquait la cour du royaume de Patagonie.

La scène pourrait sembler tout droit sortie d’un film, mais elle est d’autant plus véridique qu’elle se base sur des faits bien réels et juridiquement concrets.

Tout a commencé il y a près de 160 ans…

Antoine Tounens, né au village de La Chaise (La Chèze) en 1825, commune de Chourgnac en Dordogne, est le huitième d’une famille de neuf enfants. Ses parents, Jean Tounens et Catherine Jardon, exploitent une ferme respectable de «10 quartonnées » (32 hectares) qui leur permet d’envisager qu’Antoine suive des études. Il sera le seul de la famille à pouvoir en faire.

Très jeune, Antoine Tounens est fasciné par la géographie et notamment par la terre de l’extrême sud-ouest de son atlas, «(…) mes yeux s’étaient fixés, sans pouvoir s’en détacher, sur cette partie de l’Amérique du Sud qui porte le nom d’Araucanie et de Patagonie », écrira-t-il dans ses mémoires. Son père décide alors de l’envoyer faire le collège à Périgueux. Il étudie le droit, fait un stage de clerc, puis acquiert, avec l’aide financière de sa famille, l’étude de Me Grenaux à Périgueux.

Nous sommes en 1852, dans l’étude Périgourdine du 13, rue de Hiéras (aujourd’hui rue de la République) Me Tounens rêve de plus en plus en lisant les récits de voyages – notamment la Géographie universelle de Malte-Brun et Cortambert. Pleinement de son époque, romantique par définition, cet homme imaginatif mais nourrissant des analyses géopolitique très arrêtées ne peut plus échapper à son propre destin : il se considère comme l’homme providentiel appelé à implanter le génie des institutions françaises en Amérique du sud, puisque le Canada et la Louisiane ont été perdus à jamais. Antoine Tounens décide alors de vendre son étude en 1857, ses successeurs seront Mes Focke, Fougeyrollas et Sampé.

La tâche n’est pas simple. Il doit d’abord convaincre sa famille de l’aider à financer son projet, son pouvoir de conviction et sa folie contagieuse auront gain de cause. En préambule, il obtient de la cour impériale de Bordeaux la rectification de son patronyme afin d’y ajouter une particule. Il devient alors Antoine de Tounens, l’accès à la royauté n’est plus un divin hasard.

Pressé de retrouver « son royaume », il comprend rapidement que les moqueries et incompréhensions des autorités françaises ne lui apporteront aucun soutien concret. Il décide de partir le plus vite possible vers l’Amérique du Sud. Du Havre jusqu’à Panama en passant par la Colombie et l’Équateur, il arrivera au Chili, au port de Coquimbo, le 28 août 1858.

Durant les deux années qui suivent, Antoine de Tounens, installé à Valparaiso, apprend l’espagnol et essaie, tant bien que mal, de plaider, à qui le souhaite, le bien-fondé de son entreprise. Le Chili, jeune république depuis 1818, n’a pas encore réussi à vaincre les braves Mapuches (ou Araucans), le peuple originaire du sud du Chili et de l’Argentine. Pour Antoine de Tounens, unir les tribus d’Araucans en un seul et même royaume est non seulement un désir, c’est une manière de mieux résister à la probable invasion républicaine chilienne.

Je suis votre roi…

Il restait juste à poser la question aux intéressés. Si pour lui, tout était clair comme le ciel du Pacifique Sud, il n’était pas si simple de s’aventurer en tant qu’homme blanc en territoire Araucan. Voilà comment à l’automne austral de 1860, Antoine de Tounens se dirige vers « sa résidence et son peuple ». Avec habileté et conviction, il réussit à fédérer plusieurs caciques d’une large zone araucane, mais ne représentant cependant qu’un confetti du territoire Patagonien. L’histoire est confuse à ce stade, a-t-il été plébiscité par ses « sujets » en tant que roi et garant de leur autonomie ou a-t-il promis de l’aide et des armes de la part de la France ?

De retour à Valparaiso, ses connaissances en droit lui permettent alors de rédiger la Constitution du royaume d’en informer les autorités chiliennes afin qu’elles en prennent acte, ses compétences de notaire trouvent là toute leur justification. On ne peut développer ici, tous les évènements rocambolesques durant lesquels sa majesté Orélie Antoine de Tounens, roi d’Araucanie et de Patagonie, est emprisonné. La jeune république Chilienne, soucieuse de ne pas se laisser dévorer par les colonisateurs Européens, voit en ce drôle de personnage une réelle menace d’invasion de la part de la France. ll risque la peine de mort, mais la divine grâce et surtout la protection attentionnée du consul français de l’époque, Henri de Cazotte, lui permet de sortir de prison et le renvoie en France aux bons soins de Napoléon III.

Il essaiera en vain deux autres expéditions mais, sans argent – elles furent toutes financées par sa famille à Chourgnac – et égaré dans la solitude de son nouvel exil périgourdin, Orélie Antoine de Tounens meurt à Tourtoirac sans alliance ni descendance en 1878. Son dernier voeu sera de désigner Achille Laviarde pour lui succéder, il sera Achille Ier.

Un royaume éphémère ?

Récemment, à Reims, le journal l’Union racontait l’histoire du château d’Achille Laviarde situé en plein coeur de la « cité des rois » et où un parc verra prochainement le jour. On y découvre que cet illustre personnage Rémois, et « gentil-homme boulevardier », fût enterré à Reims mais réinhumé en 1976 en Dordogne à côté de la tombe d’Orélie Antoine. Dans l’article, un connaisseur de la vie d’Achille Ier définit ce dernier comme un roi d’opérette ne s’étant jamais rendu en Amérique du Sud.

Etude_03En mars 1902, Antoine-Hippolyte Cros, frère de Charles Cros, l’inventeur du phonogramme, devient le nouveau roi d’Araucanie et de Patagonie à la mort d’Achille Ier, il portera le nom d’Antoine II. On pense que les deux hommes, sans liens de parenté, se seraient rencontrés au cabaret le Chat noir à Montmartre.

Suivront Laure-Thérèse Ire (fille d’Antoine II) en 1903, Jacques-Antoine Bernard – Antoine III – (fils de Laure-Thérèse Ire) en 1916, Philippe Boiry en 1951 – le Prince Philippe – jusqu’à son décès en janvier dernier.

Royaume éphémère ou royaume en exil, on pourrait effectivement se poser des questions sur la réelle implication du royaume avec la Patagonie. Quels sont les véritables enjeux du royaume, comment est-il perçu par la population Mapuche confrontée aujourd’hui à une lutte afin de préserver ses terres et ses cultures ? Le 7e souverain du royaume, le récemment nommé Prince Antoine IV a annoncé son désir d’apporter une attention particulière à la lutte du Peuple Mapuche pour son indépendance ainsi que pour le respect de ses droits fondamentaux. Nous en prenons acte.

Diego Olivarès

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