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102,4 km en jet ski en 1 heure : record mondial battu, par un notaire !

Le TGV me dépose à Saint-Nazaire et sous un ciel uniformément gris, je laisse la voiture toute aussi grise de mon taxi me conduire dans « le quartier d’affaires » de la ville. L’étude est un bâtiment moderne, porte-à-faux et pans coupés, béton et métal, pas de doute on est bien au 21e siècle à Saint-Nazaire.

Maître Eliard m’accueille. Je le confesse, je suis un peu surprise, pantalon en jean enduit, baskets et blouson de cuir, teint bronzé et grand sourire découvrant des dents parfaitement blanches… La démarche sportive… Si il y a encore quelqu’un qui affirme que l’image du notaire est vieillotte, qu’il passe par Saint-Nazaire !!

Dès le début, j’ai du mal à canaliser l’entretien, Maître Eliard a tellement de choses à dire sur son parcours atypique.
Avant même que j’ai ouvert la bouche pour lui expliquer le but de ma venue et ma méthode, il m’ouvre son dossier, un beau dossier vert pomme parfaitement préparé, anticipant les questions plausibles, empli de photos avec en cadeau son opus sur la genèse du code civil.
Pas de doute, Franck Eliard en sportif de haut niveau, habitué des podiums, est rompu à l’art de communiquer et à la fréquentation des médias.
Cela prend un certain temps pour qu’il accepte de démarrer tranquillement la conversation.

Maître Eliard, qui êtes vous ?

Après une enfance itinérante, je finis par m’ancrer à Nantes où j’entreprends des études de droit, tout en évoluant sportivement à haut niveau, Au début, c’est le cyclisme sur route. Discipline exigeante entre toutes, et de 1987 à 1997, je poursuis une carrière de cycliste amateur en 1ere catégorie FFC. Aujourd’hui mon palmarès est riche de 41 titres nationaux et 120 podiums.

Pourquoi être devenu notaire ?

Il était évident que même classé dans les très bons amateurs, je ne pouvais imaginer passer professionnel en cyclisme, d’autre part, j’avais entrepris d’étudier le droit pour devenir commissaire de police… De plus je ne me voyais guère mener une vie monacale (manger/rouler/dormir).
Ma rencontre avec le professeur Raymond LE GUIDEC* à la faculté de Nantes m’a finalement amené à changer d’avis, et par une suite de hasards, j’ai passé l’examen de notariat.
Le hasard fait bien les choses : je suis notaire depuis 1997.
J’ai d’ailleurs été le plus jeune notaire de France.
C’est essentiellement l’envie d’avoir une profession libérale et indépendante qui m’a séduit, je n’aurais pu être soumis à une lourde administration.
Je suis rentré au CFPN de Rennes tout en continuant le vélo à haut niveau, de plus en plus haut… Je gagne à deux reprises au Mont Ventoux (mythique ascension cycliste) théâtre de la troisième étape du Championnat de France des professions judiciaires devant une nuée de concurrents plus aguerris les uns que les autres (militaires, policiers, douaniers…)

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Pourquoi abandonnez-vous le cyclisme de haut niveau ?

Alors juriste au CRIDON, j’ai été contacté par mes 3 futurs associés qui cherchaient un « dauphin » parce qu’ils avaient lu dans la presse locale qui relatait mes victoires que j’étais jeune notaire diplômé. Je m’associe donc et comme il est impossible de faire ce métier tout en continuant 15 h d’entraînement sportif hebdomadaires, je dois arrêter.
Le vélo amateur ne nourrit pas son homme… Le notariat si !
Mais après tant de dépassement et d’abnégation dans le sport, le travail à l’étude me semble un jeu d’enfant.

Parlons de votre record du monde de jet ski.

J’ai continué à faire du sport, pour mon équilibre, et le pilotage m’a toujours plu, quelle que soit la machine.
En 2009 je sors d’une grave maladie, et je décide d’agir pour une cause : la lutte contre le cancer des enfants.
Nous montons alors avec l’association Enfants et Santé ce projet un peu fou de tenter de battre le record du monde de vitesse de l’heure, 50 km et 100 km relais en jet ski.
Je pratique ce sport depuis un certain temps et j’ai un bon entraînement.
Les 3 records mondiaux sont battus, homologués par un huissier sur le lac de Bort les Orgues en Corrèze.

Quelles aptitudes particulières demande ce sport à ce niveau de pratique?

Il faut un moral d’acier, être un peu tête brûlée, avoir une grande force mentale, c’est non seulement du pilotage fin mais c’est aussi très physique.
Ma préparation a été intensive, tant au point de vue technique que physique, il m’a fallu tenir une heure à plus de 100 km/h de moyenne, sur un plan d’eau qui devenait aussi dur que de l’asphalte à cette vitesse sans aucune autre protection « sérieuse » que mon casque.
Je reconnais m’être fait peur au début… Ma machine était la plus puissante du marché.
Mais le jour du record, j’étais en état de grâce, du début à la fin, le turbo a d’ailleurs expiré au bout de l’heure, une fois le record battu.

Cela vous sert-il pour votre profession ?

Oui certainement, cela me permet d’être résistant et de supporter des charges de travail importantes en enchainant parfois 15 rendez-vous à la suite.
Le sport me permet d’évacuer et d’être un notaire zen pour mes clients.
Mais cela ne suffit pas,
Pour le métier de notaire, il faut essentiellement être à l’écoute, consciencieux, débrouillard et rester humble en toutes circonstances.
Il ne faut pas le nier, le sport m’a aussi amené une clientèle importante de sportifs, ou d’amateurs de vélo.

Votre étude est-elle à votre image ? Tout comme son management ?

Nous avons transformé une étude vieillotte en 1997, d’abord dans les anciens locaux en centre ville de Saint-Nazaire, puis en construisant un bâtiment ultramoderne et adapté dans un nouveau quartier. J’ai eu la chance que les 3 associés de mes débuts m’aient « laissé les clefs de la bagnole » petit rire
Aujourd’hui, c’est une étude importante de Loire Atlantique, 3 associés et 35 salariés. « Personne ne fait la gueule dans mon étude » cela est primordial pour moi.
Je suis anticonformiste et j’aime cultiver ma singularité.
Ce qui n’est pas forcement du goût de tous mes collègues environnants…

Au sein de la profession, pensez-vous que le sport pourrait être plus mis en avant, facteur de cohésion ? Connaissez-vous d’autres notaires sportifs de haut niveau ?

Je ne connais que Nicolas PELLERIAUX, Clerc de Notaire et cycliste de haut niveau. J’ai beaucoup de respect et de considération pour ce garçon qui jongle, comme moi j’ai jonglé, entre son travail et son sport. Il vient de remporter pour la troisième fois je crois le titre de champion de France du Notariat (Cyclonot).
En théorie le sport devrait constituer un vecteur de cohésion. Pour ma part pas plus que je n’ai été remercié ou félicité pour mes neuf titres de Champion de France cycliste du Notariat ramenés à la Loire-Atlantique, les records du monde de vitesse ne m’ont valu qu’un sermon des instances départementales au prétexte que je ne contrôlais pas les articles de presse relatant la performance ! C’est aussi stupide que médiocre ! J’apprécierais que les gestes soient joints à la parole lorsqu’on évoque les principes de solidarité et de confraternité.

Son téléphone sonne, c’est un bruit de moteur (De jet ski ? de moto ? je n’ai pas l’oreille assez subtile..). Le devoir l’appelle, notre entretien s’achève, mais avant de partir, encore une petite question.

Que diriez vous à un jeune notaire ?

De rester lui-même, de ne pas se prendre pour une star. Le métier est intéressant car varié et riche en rencontres et découvertes. Je le mettrai aussi en garde du « power of money », de certains archaïsmes, notamment en matière de déontologie qui freinent l’initiative individuelle. Sachez que la profession a interdit à un notaire de figurer dans « Koh Lanta » au prétexte de l’image négative que cela pouvait renvoyer du Notariat ! Je ne suis pas fan de l’émission, mais épris de liberté et à ce titre choqué de cette rigueur mal placée.
Arrêtons de nous considérer pour ce que nous ne sommes pas. Le notaire ne reste qu’un juriste généraliste, chargé d’établir des actes authentiques. Pas de quoi en faire un héros.

Pour conclure

Finalement, Maître Eliard aime son métier mais affirme ne pas être fier d’être notaire, le manque de liberté, d’agir à sa guise lui pèse, pour lui le notariat en est encore aux mentalités du XVIIIe siècle, il voudrait que la profession se banalise, que l’on soit mis en valeur pour sa compétence et non de par sa fonction. Il se sent seul dans cette vision, une sorte de zèbre un peu décalé…

 Ce n’est sans doute pas grave, Maître Eliard, il faut de tout pour faire le monde notarial.

 Propos recueillis par Caroline Lambert

*Le professeur Raymond Le Guidec a donné sa dernière leçon après quarante-trois années d’enseignement à la faculté de droit de Nantes où il a accompli la quasi-totalité de sa carrière. Cette carrière est tout entière tournée vers le monde du notariat. Ainsi, il a créé la filière Notariat à Nantes avec un DESS devenu Master, organisé la préparation au DSN en mettant en place une licence professionnelle des métiers du notariat, participé à diverses instances du notariat. Il a dispensé ses enseignements tant à l’Université qu’en dehors de celle-ci, notamment dans divers CFPN. 

Le professeur Raymond Le Guidec a contribué par ses nombreuses publications à une analyse savante et critique des domaines qu’il explorait. Outre ses nombreux articles, sa chronique de droit des successions à la Semaine juridique notariale est incontournable pour qui s’intéresse au droit des successions. Il n’est pas davantage possible d’oublier le grand nombre de travaux relatifs aux liquidations que le professeur Le Guidec a publiés, illustrant ainsi les conséquences de telle réforme législative, telle solution jurisprudentielle.

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