Pour Antoine Hurel, notaire,
la philanthropie est devenue
projet d’entreprise
Par le hasard des rencontres, par la grâce d’opportunités liées à sa pratique du droit de la famille, Maître Antoine Hurel va peu à peu entrainer toute l’étude où il est associé dans un projet d’entreprise lié à la philanthropie. Pour l’Annuaire Officiel du Notariat, il nous explique sa démarche.
… Je pousse la porte bleue de l’immeuble situé rive gauche, dans le faubourg des antiquaires, au bout de la rue, j’aperçois les quais de Seine, il pleut, même sous la pluie, ce quartier est magique.
Au fond de la cour, au premier étage, je suis accueillie dans une salle d’attente, ornée d’un côté par les alignements des portraits des différents notaires ayant exercé dans cette étude, depuis le XVIe siècle.., et de l’autre côté par une série de toiles abstraites dans les tons bleus et gris… On respire déjà l’alliance, (ou le choc) de la tradition et de la modernité…
Maître Hurel, me reçoit dans son bureau, la quarantaine, barbe contrôlée et vêtements près du corps, il est l’image parfaite de la nouvelle génération de notaires. Et encore les tableaux contemporains sur ses murs…
Depuis quand êtes-vous notaire ?
Je suis notaire associé depuis avril 2006, après avoir été formé dans une étude des Yvelines de 1997 à 2002, où je suis passé dans les services des actes courants et du droit de la famille, me donnant un statut de généraliste. En 2002, je prends la décision de chercher une association à court terme. Mes origines provinciales me font hésiter longuement sur l’opportunité d’une association dans le Calvados. Mais finalement, à la faveur de la proposition amicale de mon actuel associé, j’opte pour Paris.
Me voici donc dans une étude traditionnelle, familiale, connue sur la place depuis le XVIe siècle. J’y trouve ce que j’aime dans mon métier, un lien humain, la notion d’être utile à chacun de ses clients, quel que soit son âge et sa position. A l’époque, je n’ai pas vraiment envie de me spécialiser dans une matière plus technique, finance ou fiscalité…
De 2002 à 2005 s’ensuit la période de probation qui nous permettra de nous associer en 2006.
Vous avez donc évolué dans votre vision du métier ?
Oui, en 2005, j’avais le souhait de conserver cette vision traditionnelle et proche des clients, mais je voulais aussi, en tant que jeune associé, apporter une valeur ajoutée à l’étude dont je faisais maintenant partie.
J’avais aussi bien conscience que nous avions vécu jusqu’alors une période faste et que cela ne durerait pas forcément. Ce qui s’est avéré rapidement le cas.
Pour envisager ce développement de l’entreprise, il fallait être pragmatique : trouver un axe susceptible d’intéresser les clients de l’étude, en prenant en compte l’environnement géographique et la catégorie SP de cette clientèle.
Cela ne devait pas non plus nécessiter trop de moyens financiers ou humains, la crise que nous traversions ne nous le permettait plus.
Comment en êtes-vous arrivé au sujet de la philanthropie ?
Mon évolution personnelle et la conscience de la chance que j’avais eue me poussaient naturellement vers la recherche de démarches humanistes ; mais c’est surtout la corrélation du règlement d’une succession et de la rencontre qui en a découlé qui m’a poussé à développer ce projet.
En 2008, à l’occasion du règlement de la succession de clients fortunés, je rencontre Laurent Mazeyrie, alors juriste pour la fondation de France. Responsable du département dons et legs, il est diplômé notaire, et après 2 ans passés dans une étude, il se spécialise dans le domaine de la philanthropie et passe 12 ans à la fondation. Durant toutes ces années, il est en liaison permanente avec les notaires ; il perçoit alors les failles et lacunes de la profession sur ce sujet en profonde mutation et développement
Cette rencontre me fait prendre conscience que le notaire peut être à l’initiative d’actions philanthropiques. Il existe de plus en plus d’outils juridiques et fiscaux pour le don et l’intérêt général. C’est un sujet peu connu des notaires et pas encore inclus dans leur formation théorique.
Je découvre aussi que l’intérêt général peut se conjuguer avec la transmission patrimoniale pour les héritiers ou donataires, sensibles à la question humaniste tout en ne négligeant pas les incitations fiscales.
En 2012, après avoir traité plusieurs dossiers de mécénat, nous prenons la décision de créer un service dédié, d’embaucher Laurent Mazeyrie, qui sera assisté de 2 personnes, de donner à notre étude un vrai projet d’entreprise basé sur la philanthropie et le mécénat
Aujourd’hui, ce service consacre 3/4 de son temps à l’étude des projets, la création de fondations et le suivi ; notre offre de services est donc complète, de la réflexion à la mise en place et à l’aide à la gestion de la structure ; cela nous différencie réellement d’autres professionnels, avocats notamment.
Les associés (de gauche à droite) : Antoine Billecocq, Hervé Morel d’Arleux, Antoine Hurel
Comment cela a-t-il été ressenti par vos associés et collaborateurs ?
Au départ, il m’a fallu de la pédagogie pour convaincre les associés de son utilité pour le client mais aussi de la viabilité économique de ce département dans une étude de notaire. Au bout d’un an, ce service est d’ailleurs à l’équilibre, et ses perspectives sont prometteuses.
Cela a aidé et satisfait certains de nos clients ; Il nous permet également de rencontrer de nouveaux clients.
Nous avons été formés par Laurent Mazeyrie et pouvons prétendre aujourd’hui, à ses côtés, à une expertise sur le sujet.
Dans notre étude, nous tenons à la mutualisation des savoirs, tous nos collaborateurs sont donc étroitement associés à ce projet. Toute l’étude se sent partie prenante dans ce projet, il y a une certaine fierté d’y participer, de loin ou de près.
Pour que la cohésion soit réelle, pour finaliser la responsabilité sociale de l’entreprise, mon but est de créer une fondation d’entreprise de l’étude dès que cela sera possible.
Avez-vous un cas pratique à nous donner ?
En 2013, ouverture d’un dossier de transmission, un conjoint, un enfant unique, lui-même père d’un enfant atteint de trisomie 21, aucune anticipation de la succession et un patrimoine important. Les droits de succession s’élèvent à 45%.
En cours d’élaboration, j’évoque avec l’unique héritier, la possibilité d’affecter une partie des actifs, à la création d’une fondation qu’il créerait au nom de sa fille, et dédiée à la recherche médicale.
La décision devait être prise rapidement (dans les 6 mois du décès) au regard de l’article 788-3 du CGI. Il est donc décidé de créer la Fondation Marie Noëlle pour la trisomie 21 et maladies associées, sous l’égide d’une « fondation abritante », finançant la Recherche Médicale.
Nous avons élaboré les statuts de cette fondation abritée, effectué l’apport sous la forme d’un immeuble de 2 millions d’euros, obtenant ainsi l’exonération totale des droits de la succession sur cet actif.
Puis, décision prise de vendre cet immeuble pour donner des liquidités immédiatement affectables à la recherche.
L’étude disposant d’un service expertisée négociation immobilière, est mandatée pour cette vente. Appel d’offre avec DATAROOM, recueil des offres et vente du bien.
Ainsi, l’étude donne conseil sur l’affectation des actifs, crée la structure, effectue l’apport et négocie la vente. Toutes les compétences de l’étude sont donc mises en œuvre.
La conclusion de l’héritier résume à elle seule toute la valorisation qu’apporte ce nouveau service : « Ce que je retiendrai de la succession de mon père, c’est la création de cette fondation pourvoyeuse d’immortalité »
Sans parler des 2 Millions d’euros donnés et affectés à la recherche médicale par cette fondation consomptible. Cet héritier s’est un peu appauvri mais son enrichissement personnel est sans limite.
C’est sans doute un sujet réservé aux successions importantes ?
Non, il est possible de créer une fondation de 200 K€ sur 5 ans avec une défiscalisation à 66 % (IR) ou même 75 % (ISF). Cela coûte alors 10 K€ au client par an ; la philanthropie est donc à la portée de tous et chaque notaire dans son étude peut évoquer le sujet avec ses clients ; les actes à proposer sont multiples ; donation avant cession d’entreprise, testament à une fondation avec legs nets de frais et droits, donation temporaire d’usufruit fonds de dotation, fondation RUP, fondation abritée etc. ;
Ces sujets sont techniques et je crois fortement à la mutualisation des compétences et des dossiers entre confrères. C’est ce que nous faisons notamment en travaillant avec de nombreux confrères de France entière, concernant l’expertise et la négociation immobilière des biens à Paris.
Cela peut être fait avec d’autres sujets, comme la philanthropie.
Compte tenu du contexte actuel, nous avons tous intérêts à travailler en réseau et à échanger.
Pensez-vous qu’il soit nécessaire pour une étude moderne de se spécialiser ?
Il me semble que chaque étude peut et doit opérer un développement qui corresponde à son environnement économique, géographique et sociologique, et ne doit pas hésiter à innover. Ainsi, pour moi, il était au départ important de me positionner vis à vis de mes associés, mais aujourd’hui c’est devenu un impératif de revoir le positionnement de l’étude et de trouver un projet d’entreprise fédérateur.
Le contexte économique et politique actuel va sans doute imposer ce genre de réflexion.
Comment êtes-vous perçu au sein de la profession ?
Tout d’abord, précisons que nous ne sommes pas les seuls à avoir un service dédié à la philanthropie. Et mon but n’est pas de truster le sujet, mais de le faire connaître, d’aider à son développement, quitte à mutualiser avec les études moins expertes, comme cela existe déjà avec Négo-notaire (www.nego-notaire.com) en matière d’immobilier.
C’est plutôt bien perçu par mes confrères, ils y voient une action éthique et morale, mais ont parfois du mal à y trouver une justification économique ; j’espère que l’exemple ci-dessus les aura persuadés !
Nous sommes soutenus et reconnus par le CSN qui a pris conscience de l’importance du sujet. Une formation a eu lieu dans ses locaux pour sensibiliser les notaires de France à la philanthropie. Formation assurée par divers notaires, intervenants et Professeur d’université, ainsi que Laurent Mazeyrie pour 70 confrères venus de tout l’hexagone.
Comment voyez-vous le projet de réforme actuel ?
Nous sommes tous inquiets de la réforme, puisque nous n’en connaissons pas le contenu (notamment sur les tarifs) qui ne sera révélé que lors de la promulgation des décrets d’application.
En dehors de l’aspect anxiogène dû aux coûts des installations de tous les notaires nouvellement installés (et de ceux qui souhaitent prendre leur retraite) et aux conséquences de cette loi, je pense que cela ira naturellement vers la mutualisation des coûts et des compétences au sein de la profession, la rendant sans doute encore plus solidaire.
Que diriez-vous à un aspirant notaire ?
Il y a 20 ans, en commençant mes études, je me suis posé la question de la pérennité de ce métier. Je me doutais aussi qu’il serait bousculé et remis à plat. C’est ce qui arrive en ce moment.
Le futur notaire aura l’avantage de commencer sur de nouvelles bases plus saines car les nouvelles règles seront connues. Il n’aura pas à supporter cette période anxiogène que nous avons subie depuis ces 10 dernières années.
Je ne crois pas à la mort du notariat, je crois à son utilité et à sa nécessité. Nous travaillerons différemment. Préparons nous, c’est un challenge à relever.
Propos recueillis par Caroline Lambert