Jean-Marie Durand :
« Mon étude est une actrice »

Interview de Maître Jean-Marie Durand, notaire à Villeneuve-Saint-Georges.

Jean-Marie-Durand-240x300Ce n’est plus le notaire dans le cinéma, ni le notaire fait du cinéma, dans ce cas, c’est l’étude qui devient le lieu et l’acteur d’un tournage « en réel » pendant 9 mois, le réalisateur Jean-Marc MANIVET est venu avec son matériel, certes léger, mais bien présent, une caméra, un micro, il s’est glissé dans les bureaux, dans les salles de réunion, pendant les rendez-vous. De toutes ces heures à l’étude est né un documentaire « les minutes de ma vie » diffusé sur ARTE en janvier 2013.

Maître Durand, pourrait avoir lui aussi une tête de réalisateur… Un style Luc Besson, je le rencontre après la première journée des régates de La Classique des Notaires à La Trinité… Alors ce n’est plus Besson mais Kersauson, mais je m’éloigne du sujet, revenons au cœur de notre propos et écoutons ce notaire quadragénaire, barbu et marin, nous commenter cette aventure médiatique.

Pourquoi votre étude de Villeneuve-Saint-Georges est-elle choisie ?

Le point de départ est une discussion entre le réalisateur et une de mes amies.

Il voulait faire un documentaire sur le notariat, son idée première était de suivre une succession de A à Z, de la rédaction du testament au règlement de la succession. Techniquement c’était impossible, il s’est donc résigné à filmer le quotidien d’une étude. La nôtre lui convenait bien, ni parisienne, ni totalement provinciale, de taille moyenne, en quelque sorte assez représentative du notariat. Pendant 9 mois, il est venu seul, tous les jours, il a filmé la vie de l’étude, les rendez-vous avec les clients qui étaient d’accord, nos réunions entre associés, la transformation de l’étude puisque nous sommes arrivés, mon associé et moi, il y a 5 ans dans une étude un peu désuète dont le notaire était sur le départ. Son scénario n’était pas pré-écrit, et il a découvert au jour le jour ce qu’est la vie d’une étude.

Tous les associés étaient d’accord pour jouer le jeu, nous avons dû obtenir l’accord des instances, le CSN et la Chambre de Paris, il fallait que cela soit fait en toute transparence.

Tout était totalement réel, il n’y a eu aucun « trucage », et si au début, j’étais un peu gêné par la caméra et le micro, cette impression est vite passée, le réalisateur était très discret et j’ai fini par oublier sa présence. Je n’ai jamais eu l’impression de modifier ma façon de faire ou d’être. Les clients qui avaient donné leur accord ont été positifs et que cela soit pour les ventes ou pour les rendez vous de succession, il n’y pas eu de souci lié à ce tournage.

Jean-Marc MANIVET voulait montrer la vie d’une étude moyenne et sans l’avoir prévu, il a filmé la transition entre le notaire qui part à la retraite et l’arrivée des jeunes, les travaux physiques qui métamorphosent l’étude, le changement dans le management et la manière de travailler. Lui-même se plonge dans le notariat, pose les bonnes questions et devient presque « clerc » à son tour…

La seule difficulté rencontrée est inhérente à mon mauvais caractère, parfois je suis exaspéré par la présence de la caméra, et je rêve alors de le mettre dehors.
Ce réalisateur est honnête et s’il a des préconçus au départ, il n’a rien à démontrer, il veut juste rentrer dans une étude, il pense que cela peut intéresser le grand public, au départ c’était pour montrer le déroulement de la succession, de la rédaction du testament à son règlement, mais devant cette impossibilité, il s’est laissé porter au fil des jours.

Il a des heures et des heures de film. Il n’en retient que 45 mn, nous avons pré-visionné avant le montage et à part quelques rushes plus inhérents au respect du client, et à certains points de déontologie qu’il ignorait, tout est accepté. Ce n’est pourtant pas un film à l’eau de rose, il y a parfois des moments durs, et ce n’est pas toujours agréable à montrer pour nous (une réunion houleuse notamment).

Pour nous c’était aussi une épreuve, nous étions tétanisés par l’exercice, nous venions d’arriver et n’avions aucune envie de donner une mauvaise image, d’autant que nous avions une étude à remonter.

Nous ne sommes pas des professionnels de l’image et de la communication, et l’exercice est à manier avec beaucoup de précaution, nous avons eu la chance de tomber sur un homme honnête qui a su faire fi de ses préjugés, qui n’a rien orienté.
C’est un très beau travail, personne n’y a vu de vrai message. Il y a à la fois un côté universel de la profession dans ce film et tous les notaires peuvent s’y retrouver, mais aussi l’histoire personnelle de l’étude et une tranche de vie des hommes qui la font tourner.
Finalement tout le monde s’accorde pour dire que le jeu en valait la peine et de notre prédécesseur aux instances, en passant par nous, la satisfaction est générale.

L’audience fut incroyable et nous avons reçu des avalanches de messages, dont la teneur est toujours que ce film renvoie l’image exacte de la vie d’une étude. Tous nos confrères s’y reconnaissent.

L’audience est même transfrontalière, puisque j’ai été reconnu par des belges alors que j’étais de passage en Suisse. Je n’ai pas eu de retombées spécialement pour l’étude en termes économiques. Et si l’expérience est « super enrichissante » ce n’est qu’une étape dans la vie de l’étude. Nous avons revu ce film il y a peu de temps, mon associé et moi, cela nous a énormément touchés. Nous avons pu mesurer le chemin parcouru et surtout combien nous avions été fous de nous lancer dans ce projet. Il y avait un défi à reprendre une étude poussiéreuse qui s’endormait complètement et qui n’avait pas accompagné les changements radicaux du paysage de Villeneuve-Saint-Georges, passant de la petite ville bourgeoise au statut de banlieue défavorisée. C’est très positif de voir les progrès accomplis depuis notre arrivée.
Il manque juste la suite du film pour montrer l’étude 4 ans plus tard.

Comment voyez-vous l’évolution de la profession ?

Nous sommes depuis 5 ans dans l’étude et avons aujourd’hui 15 collaborateurs. Selon moi, il est urgent de passer à une dimension de véritables prestataires de services pour coller au plus près à l’attente de nos clients.
Il est dommageable que la loi Macron ait été rédigée sans aucune concertation avec la profession, mais il est certain que le notariat doit se réformer en profondeur.
Pour cela, cette loi oblige à une remise en question, occasionne une situation de déséquilibre d’où naîtra l’adaptation et l’ajustement nécessaires du notariat aux nouvelles donnes sociales et économiques.
Il va falloir être entrepreneur, travailler avec la concurrence, inventer de nouveaux services à proposer.
Nous menons cette réflexion avec mon associé et plus largement avec d’autres confrères.

J’ai donc une vision de l’avenir optimiste, en étant conscient qu’il y a un changement de cap pour le notariat.

Un nouveau « monde » à trouver en armant nos vaisseaux pour découvrir des routes inconnues à ce jour… Chercher la route des Indes pour conquérir les Amériques.
Bravo Maitre Durand, avec vous vos clients iront au bout du monde…

Propos recueillis par Caroline Lambert

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