Le notaire, sa treille et Macron…

Maître Corpechot est notaire avant toutes choses, mais à ses heures perdues, et il y en a peu, tant il est passionné par un grand nombre de sujets, à ses heures perdues, disais-je, il est viticulteur…
Pas n’importe où !! dans le 9e arrondissement de Paris…
Pour en avoir le coeur net, je suis donc allée visiter « sa vigne ».

Dans la grande cour de cet immeuble Haussmannien, au-dessus de la Trinité, s’étend du sol au premier étage, une immense treille dont le pied imposant atteste de ses 40 ans passés. Elle fait quasiment le tour de cette cour, d’un beau vert cru encore estival, elle ne semble pas avoir souffert de la chaleur d’août, ni de la pollution de ce quartier central où la circulation ne s’arrête jamais..

Alors, maître, parlez-moi de votre vigne

« Je l’ai plantée, il y a 40 ans, c’est un pied de pinot noir d’Alsace en hommage à mes ancêtres originaires de Mulhouse. Je fais mes 3 tailles par an. Chaque année, au moment de la vendange, aux environs du 15 octobre, j’invite tous mes voisins, mes amis et c’est l’occasion d’une grande fête dans la cour. Nous récoltons 80 kg de raisin charnu et gouteux à souhait. Nous le pressons et obtenons 40 l environ. »

vigne

Elle est bien exposée, cette treille, en plein sud ouest et déjà ses grappes commencent à noircir, j’en goûte un grain qui éclate sous la dent en un bouquet d’arômes puissants bien loin d’un raisin de table qui pourrait alors sembler mièvre.

Pas de doute, ce terroir du 9e arrondissement produit un raisin puissant pour un vin à la personnalité originale.

Maitre Corpechot a ainsi pressé plusieurs années et obtenu un breuvage dans le tonneau de chêne, le « clos Henner », en hommage au peintre qui vécut là.

Le dit clos est cependant « dangereux » à boire selon son éleveur qui, en bon juriste, ne cède au désir des curieux de goûter son vin, qu’après leur avoir fait signer une décharge.

Effectivement, en voyant la bouteille, après un rapide examen visuel de son contenu, un peu trouble et filandreux, j’ai préféré y renoncer.

Maitre Corpechot, dans son costume de notaire orné de son célèbre noeud papillon, m’explique donc, qu’étant donné le peu de qualité de son vin, il préfère maintenant s’arrêter au délicieux jus de raisin dégusté tout frais avec une collation lors de la fête des vendanges, sur les tables improvisées de planches et de tréteaux.

Il a bien tenté de proposer le produit de sa vigne aux « vignerons de Paris » qui normalement récupèrent les raisins parisiens (il doit y en avoir beaucoup…) Mais sans aucune réponse de ceux-ci, il continue à le vendanger lui même.

Juste à côté, la caserne des pompiers produit elle aussi un « petit vin local »..

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Maître Corpechot, si on remontait le temps : notaire ou viticulteur ?

« Notaire, c’est évident, j’aime mon métier et le droit, Cela me vient de mon père, notaire, lui aussi, qui parlait de son expérience à la table familiale. Je suis la 6ème génération de notaires. Certains étaient en province et d’autres en banlieue, (ce qui leur permettait d’être membre de chambre à Paris mais pas président car à l’époque on faisait bien la différence : notaire de banlieue et notaire Parisien…) Cela me passionnait et très vite après mon bac j’ai entamé des études de droit, me suis inscrit comme jeune clerc à la chambre de Paris afin de gagner du temps pour prétendre devenir notaire.

Très rapidement, mon père décréta qu’aller à la fac laissait du temps et que les polycopiés suffiraient, il m’a donc « embauché » et c’est ainsi, que j’ai été immédiatement confronté à la réalité du terrain tout en continuant à « bûcher » mon droit.

Une sorte d’alternance avant l’heure, qui m’a beaucoup servi et permis de passer mes examens, mon expérience pouvant être décrite comme des cas pratiques donnait une valeur ajoutée à mes copies. J’aime mon métier et c’est ma vie, j’ai toujours énormément travaillé.

Cela fait plus de 40 ans que je suis notaire dans le 9e (on notera que c’est aussi l’âge de la vigne), nous sommes 3 associés. »

« J’étais un notaire heureux jusqu’à la publication de la loi Macron… »

« … qui du jour au lendemain m’a mis « à la porte de ma profession » puisque j’ai 70 ans passé. Depuis août, je n’ai plus le droit de recevoir les actes. En vertu de quoi, les plus que septuagénaires membres du Conseil Constitutionnel ont-ils validé cette décision inique ? Eux mêmes, les médecins, les avocats, les politiques peuvent continuer à exercer comme bon leur semble, et seuls les notaires seraient frappés de sénilité précoce ?

Nous avons porté l’affaire devant la cour des droits de l’homme de Strasbourg et la cour Européenne à Bruxelles, nous attendons le verdict. (Il y a eu des précédents à l’Europe sur le problème de la limite d’âge qui a été déclarée contraire aux droits de l’homme.)

Bien entendu, je m’étais organisé pour céder mes parts, mais cela ne se fait pas immédiatement, et in fine les actes sont reçus par mes associés et préparés par les collaborateurs de l’office sur mes conseils Les notaires qui n’ont pas cette chance se voient imposer un administrateur, généralement un confrère voisin…c’est d’ailleurs risqué pour l’étude du septuagénaire.

L’honneur des notaires est en cause. Au CSN, personne n’a rien compris, et cela a été proposé à l’origine par cette instance, sans doute en contrepartie d’autres articles jugés plus nocifs. Nous sommes donc lésés, car certains de mes confrères sont obligés de passer la main en catastrophe, et donc désavantagés dans la négociation. C’est à la fois une discrimination et une spoliation….

Je pars donc déçu, dégoûté de ce que l’on veut faire du notaire, sans doute, à terme, « un fonctionnaire à horaires fixes et formatant son travail »

On vit dans un monde de fous et des toqués de l’administration. »

Que diriez vous à un jeune notaire qui s’installe ?

« Tout peut arriver, (petit rire) il faut se préparer à se défendre…

S’il a conscience que le client fait confiance à son notaire, il aura un rôle extraordinaire, la plupart des notaires font un travail de fond dans tous les domaines de la vie.

C’est une responsabilité et un challenge formidable.

Il faut donc espérer qu’il pourra exercer son métier sans « crever la faim » quel que soit le lieu où il exercera. »

Après la bonhomie affichée en contemplant les grappes mûrissantes dans le soleil d’automne, s’imprime sur le visage de maitre Corpechot une sorte de gravité teintée de tristesse.

C’est vraiment dommage de partir ainsi après avoir tant donné et tant travaillé…

Que peut-on lui souhaiter ? Que les sages lui donnent raison, et qu’il puisse tailler sa vigne en se disant que l’honneur de la profession est sauf ?

Cela ne l’empêchera pas de travailler d’arrache-pied, même le samedi pour établir ses actes et continuer à servir ses clients comme il l’a toujours fait.

Caroline Lambert

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