Jean-Daniel Burtet, notaire
« sans costume » à Nouméa

Pour la Newsletter n°8 de l’Annuaire Officiel du Notariat, de l’autre côté de la terre, Maître Jean-Daniel Burtet, notaire à Nouméa accepté de satisfaire notre curiosité sur sa vie professionnelle dans une Collectivité d’Outre Mer aux antipodes.

Difficile d’aller à Nouméa (23 h de vol) alors je rencontre Maître Jean-Daniel Burtet, par Skype. Il est 9 h du matin pour nous quand lui a déjà bien entamé sa journée, il est 18 h dans les bureaux de la SCP Lillaz, Burtet, Coste et Mougel. L’image apparaît un peu brouillée : un homme d’une quarantaine d’années, en tenue décontractée. « A Nouméa, nous sommes des notaires sans costume », je distingue mal le bureau, mais les lampes sont déjà allumées.
Maître Jean-Daniel Burtet m’apparaît détendu, souriant et tout disposé à répondre à mes questions.

jean-daniel-burtet_02Notaire français exerçant de l’autre côté de la terre, comment vivez-vous votre fonction ?
Je suis arrivé en 2002,  j’ai fait mes études en métropole, je ne suis pas natif d’ici. Je me suis associé dans une étude créée en 1877, qui a quasiment toujours été tenue par des métropolitains. Il y a d’ailleurs peu de notaires natifs de Nouvelle Calédonie, un, bientôt deux sur les onze notaires de l’archipel.

J’ai décidé d’être notaire l’année de mes 16 ans
C’est un notaire, ami de mes parents, qui m’a fait découvrir et aimer ce métier. Il n’avait pas de successeur et tout naturellement, lui, qui voulait transmettre son étude, m’a choisi pour tenter de faire de moi un successeur éventuel, mais la vie en a décidé autrement.
Il faut dire que j’ai vécu à l’étranger jusqu’à mes 18 ans, essentiellement en Afrique. J’étais notaire assistant à Tahiti avant de reprendre mon étude de Nouméa. Cela m’avait replongé dans la nostalgie de l’ailleurs, les odeurs, les souvenirs, tout m’était alors remonté. Ce que je croyais enfoui m’a submergé, je ne suis pas revenu, je n’ai pas repris l’office qui m’était destiné et en 2002, après 4 ans passés en Polynésie, je suis arrivé à Nouméa.
Cela fait maintenant 12 ans que j’y suis. C’est bien la plus grande période sédentaire que j’ai jamais connue de toute ma vie.

Nous sommes nommés par le gouvernement local sur avis du Parquet Général, lequel reste sous l’autorité du Garde des Sceaux.
Donc l’instruction du dossier est strictement la même que pour les notaires de France et le gouvernement calédonien suit l’avis du Parquet
La Nouvelle Calédonie est un quasi-état, dont seules les fonctions régaliennes sont assurées par la France métropolitaine,

Nous n’avons aucun contact avec le CSN. Nous pouvons, si nous le souhaitons nous rendre au Congrès des Notaires pour rencontrer d’autres confrères.
Nos plus proches Confrères sont ceux de Tahiti, avec qui nous gérons quelques dossiers d’opérateurs économiques présents sur les deux territoires, ainsi il m’arrive d’intervenir sur des dossiers d’hôtellerie en défiscalisation en Polynésie Française.
Par contre, notre étude est membre du groupe Monassier, et c’est pour nous le véritable contact avec le notariat, un vrai lien, un suivi de ce qui se passe au sein de la profession. Tous les ans, je me rends à l’assemblée générale du réseau. Cela nous permet de conserver notre rigueur, notre déontologie, un état d’esprit propre à ce groupe, de connaître les nouveaux outils de travail. Nous échangeons peu sur la technique puisque nous n’appliquons pas les mêmes lois, mais par contre le lien est fort sur les fondamentaux de la profession.

Nous n’avons pas de différence avec les notaires de métropole, à part le fait que nous ne travaillions pas en costume.
Notre étude de trente-deux salariés et quatre associés fonctionne de la même manière qu’une étude française. Je peux l’affirmer, ayant moi-même travaillé dans une étude en France pendant quatre ans avant de m’expatrier, et ayant des contacts très réguliers avec mes confrères du réseau Monassier.
Nous avons la même place au sein de la société locale qu’en métropole, nous sommes aussi souvent considérés comme des notables, même si ce terme ne me plaît pas beaucoup; Nous avons cependant de grosses difficultés à recruter, il n’y a pas localement de clercs, ou de notaires assistants. Les candidats viennent de métropole mais beaucoup repartent (50 % s’en vont au bout d’un an). Cela est dû à l’éloignement et la difficulté d’intégration dans une société très fermée.
C’est également une difficulté à Tahiti.

jean-daniel-burtet_04Notre système de loi reste figé à la date où les diverses compétences ont été rétrocédées à la Nouvelle Calédonie.
Sur les grands principes juridiques, il n’y a pas de grande différence. Il faut savoir que notre système de lois est à peu près le même qu’en France, mais figé à la date à laquelle les diverses compétences ont été rétrocédées à la Nouvelle Calédonie. Par contre sur les détails, les différences sont nombreuses.
Ainsi les compétences en droit civil et en droit commercial ont été transférées à la Nouvelle-Calédonie le 1er juillet 2013.
Depuis lors, aucune des nouvelles dispositions ajoutées en France métropolitaine n‘est valable pour nous.
Une particularité forte existe en droit de la famille, car la législation métropolitaine ne s’applique pas à tous : les Mélanésiens (les Kanak) ont un statut personnel qui n’est pas de droit français mais de statut dit « coutumier ».
Autre particularité, environ la moitié du territoire, (soit 9 288 km2), est régie par la loi coutumière, celle des Mélanésiens qui ne connaissent pas la propriété immobilière privée, et régissent eux-mêmes la vie sociale, familiale et professionnelle des tribus possédant ces vastes terrains à titre collectif. Ils possèdent ainsi de vastes étendues sauvegardées, constituant bien souvent les plus belles montagnes, les plus baux bords de mer, ou les plus beaux terrains de chasse.
Ils n’y développent pratiquement aucune activité économique, à l’exception d’exploitations agricoles vivrières, ne les construisent pas, ne développent aucune activité touristique, préservant ainsi la Nouvelle Calédonie de toute destruction ou pollution humaine ou chimique… Ceci évidemment est un peu moins vrai pour le secteur minier.
Aucun outil juridique n’est adapté à ce statut, et les rares consultations faites auprès de nous n’ont donc pu aboutir. Quelques SEM* ont vu le jour pour pallier à ces problèmes, mais c’est assez rare.
En ce qui concerne le droit de la famille, ce sont les chefs et conseils coutumiers qui choisissent les héritiers d’une succession, pas toujours de manière évidente, ainsi le petit cousin éloigné pourra-t-il hériter de la maison d’un père de huit enfants… et les enfants n’auront rien.
Il n’y a pas de contrat de mariage, mais dans le cas d’un mariage mixte, c’est le droit français qui s’applique. C’est rare.
Les communautés mélanésiennes et européennes vivent un peu en parallèle sans beaucoup d’interconnexions. Et il ne faut pas oublier les communautés asiatiques et wallisiennes, très présentes également sur le territoire.
Toutes les communautés, au travers des partis politiques, y compris bien-sûr les Mélanésiens, font partie du gouvernement de par la loi organique propre au Territoire qui impose la constitution d’un gouvernement collectif, quel que soit le résultat des élections.
Les Mélanésiens représentent environ 40 % de la population.

Non, jamais, vraiment jamais, je ne quitterai la Nouvelle Calédonie !
Je ne pourrais en aucun cas exercer une profession en France. Les conditions d’exercice de ma profession (ou de celle de n’importe quel chef d’entreprise) ne correspondent pas à ma vision de la société. En Nouvelle Calédonie, la notion de travail est une vraie valeur, en France elle est niée. Il me semble aujourd’hui que tout entrepreneur a envie de partir de France..
Ici, pas de RMI, ni de RSA. On indemnise le chômage seulement 4 mois. De fait il n’y a que peu de chômeurs en Nouvelle Calédonie.
Le territoire est le troisième ou quatrième producteur au monde de nickel et possède environ 25 à 30 % des réserves mondiales. L’augmentation des capacités de production après la construction récente de deux usines, moyennant 11 milliards de dollars d’investissements devrait rendre le territoire premier producteur mondial à moyen terme. Aussi nous ne vivons pas de transferts financiers de la métropole, contrairement à d’autres DOM-TOM. Un pays où la valeur « travail » a encore droit de cité, ajouté à une activité industrielle importante, font que le taux de croissance est de 3 à 4 % par an en moyenne depuis dix ans.
La fiscalité est plus faible qu’en métropole, bien que très présente… Malheureusement, nous connaissons aussi une inflation fiscale.
Nous vivons dans un pays, quasi État, qui en dehors des fonctions régaliennes exercées par la France (la justice, l’ordre public, la défense, la monnaie et les affaires étrangères), légifère et administre son territoire comme bon lui semble.
Ainsi, nous avons la chance d’être consultés dans le cadre des nouvelles lois prévues, et il est intéressant de participer de cette façon à l’amélioration de la vie de nos concitoyens. Bien que le manque de compétences humaines, par rapport à tout ce qu’il faut gérer, risque de geler le droit. Ainsi, le droit hypothécaire n’a pas évolué depuis 1935.
Familialement, je suis marié à une Calédonienne de souche dont la famille est présente sur le Territoire depuis plusieurs générations. Je suis donc bien intégré dans le tissu social et que cela soit au plan amical ou professionnel, c’est un véritable atout dans un pays parfois peu accueillant pour les métropolitains.

jean-daniel-burtet_05Je participe au combat actuel des notaires par confraternité
J‘ai signé les pétitions et suis intervenu auprès de mon député pour tenter de le faire agir lors de séances de l’Assemblée Nationale.
Cependant, je ne me sens pas concerné, car ce problème ne se pose pas en Nouvelle Calédonie. Nous ne sommes pas dans le « collimateur » des instances politiques locales. Nous sommes assez tranquilles, même s’il y a fort à parier que les avocats calédoniens risquent de s’activer si les réformes passent en métropole. Il y a cents avocats en Nouvelle Calédonie et onze notaires.

Pour conclure
Je suis heureux de vivre en Nouvelle Calédonie, autant professionnellement qu’au plan privé. Cela fait douze ans que j’y suis, je ne suis jamais resté aussi longtemps dans un endroit.
Le seul regret est que la métropole est vraiment très loin.
Alors, comme beaucoup de calédoniens, on passe nos vacances en Australie…

Propos recueillis par Caroline Lambert

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