Claude L’Espagnol, un notaire pas comme les autres
à Saint-Pierre et Miquelon

Maître Claude l’Espagnol est un notaire « 3 en 1 » qui ne se sent pas particulièrement « notable » Il nous parle de sa vie, là-bas dans le Nord. Durant 1 h 30, de nos bureaux de l’Annuaire Officiel du Notariat, je « skype » avec le greffier notaire de Saint-Pierre et Miquelon, unique représentant français de ce statut particulier de notaire, greffier en chef du tribunal supérieur d’appel et greffier en chef du conseil des prud’hommes.

Maître l’Espagnol m’apparaît vêtu d’une marinière rouge et blanche (hommage à Montebourg dit-il en souriant, peut-être un peu narquois ?) sous une veste bleu marine, un anneau à l’oreille gauche. Notre notaire des antipodes a un look de marin, un peu pirate sur les bords, c’est sans doute le sang des ses ancêtres Malouins qui ressort. On sent un homme épanoui, il rit souvent, mais un peu désabusé après 36 années d’exercice de ses multifonctions sur sa terre natale.

« Malgré tout, avec ses 4 000 habitants sédentaires, avec ses maisons de bois aux vives couleurs, aux fenêtres basses éclairées par le sourire des fleurs, avec ses jardins amoureusement soignés, ses rues inégales où s’entendent, dans le claquement des sabots, les parlers de Normandie et de Bretagne, mêlés à l’accent plus vif du Pays basque, Saint-Pierre est bien un morceau de la vieille France fixé aux rives américaines. » Henri Baulig, géographe.

Saint-Pierre et Miquelon** est un archipel composé de deux îles principales au large du Canada, à vue de terre Neuve. C’est un COM*, 6 500 personnes dont 2 500 actifs y vivent, la majorité sur l’Ile de Saint-Pierre. Les ressources ne sont pas légion, mais on ne doit pas les négliger. Certes la pêche hauturière a quasiment disparu suite à un moratoire imposé en 1992 par le Canada dans notre zone économique. Cependant il subsiste encore une usine de pêche à Miquelon avec un chalutier qui traite la morue et le flétan noir. L’aquaculture se développe également à Miquelon avec un élevage important de pétoncles et l’agriculture et l’élevage sont très soutenus par l’État. Le tourisme est une réalité mais le taux d’échange élevé de l’euro contre le dollar canadien et le coût du transport aérien sont très pénalisants.
C’est un territoire sauvage, splendide, où l’air est pur et où Claude l’Espagnol aime vivre.

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A Saint-Pierre et Miquelon, le dernier notaire est parti en 1943.
En 1946, pour pallier à ce manque, l’état, par un décret de 1946, réunit les fonctions de greffier et de notaire et supprime l’office notarial. Jusqu’à la départementalisation de Mayotte, c’était aussi le cas pour ce territoire de l’Océan Indien.
Je suis maintenant le seul de mon espèce. Ma compétence de notaire est limitée au territoire de Saint-Pierre et Miquelon. Je ne pourrais exercer en métropole. C’est ainsi que sans y avoir réellement pensé je suis devenu notaire. Après mon bac passé à Saint-Pierre, j’ai fait mes études de droit à Montpellier et obtenu une maîtrise de droit privé. Je me destinais à la magistrature, mais la vie en a décidé autrement.
Il est impensable d’exercer les fonctions de juge pour un natif de l’archipel, mais j’avais le mal du pays, je suis donc devenu greffier, le greffier notaire allait prendre sa retraite, on recherchait un juriste pour le remplacer, c’est comme cela que j’ai pris sa succession, il y a 36 ans.

Vous sentez-vous plus notaire que greffier ou l’inverse ?
Je me sens plus notaire, puisque j’y consacre 60 % de mon temps, et aussi parce que l’âge venant, je préfère être l’homme du contrat et non pas celui qui gère les conflits. C’est une fonction intéressante et prenante, cependant, il m’est difficile de scinder les deux. Je me trouve très chanceux de pouvoir exercer une fonction qui englobe toutes les facettes du droit. Je suis un notaire autodidacte. Je n’ai jamais passé les examens propres au notariat, j’ai une formation sur le tas, après avoir été formé par mon prédécesseur, je suis abonné à toutes les revues juridiques.

400 actes par an
Avec pour toute aide, une secrétaire sans compétence juridique particulière. Elle m’assiste pour les formalités pour les publicités foncières.
35 % en immobilier et le reste en droit de la famille, une pincée en droit des sociétés.
Jusqu’en 1987, il n’y avait pas de cadastre, ce qui ne me rendait pas les choses très faciles.
De plus, il y a une énorme diaspora dans le monde entier, et c’est un vrai casse-tête pour moi qui doit « courir » derrière les héritiers dispersés sur les cinq continents.
J’ai sur le territoire un rôle stratégique en matière économique.
Les trois banques de l’île ont besoin de moi pour notamment assurer les garanties hypothécaires. Être un homme clef est assez stressant, je ne peux jamais m’absenter longtemps, n’ayant aucun suppléant possible. Il y bien une greffière qui a prêté serment pour assurer l’intérim, mais elle n’en a ni le goût ni la formation.
Les notaires les plus proches sont à 3 600 km à la Martinique, il n’y a pas de liaison directe.

Les lois sont elles différentes ?
Le droit de la famille est le même qu’en France, mais en matière d’urbanisme, de construction et de fiscalité c’est la collectivité territoriale qui légifère.

Et vos émoluments ?
Je suis un notaire public et touche donc un traitement de fonctionnaire, A St Pierre l’indexation est de 1,70. D’autre part, je touche la moitié des honoraires produits par l’étude, l’autre étant reversée à l’état. Mes honoraires sont encore ceux fixés en 1950. Ce serait au conseil territorial d’en fixer de nouveaux. Un acte basique, comme un acte de notoriété constatant une dévolution successorale est aujourd’hui facturée 76 cts d’euro, (cela correspond aux 27 francs de 1950) soit 300 fois moins qu’en métropole. Un acte de partage, est rémunéré à 0,375 % quelle que soit la complexité du dossier.

Quelques souvenirs… Mon bureau couvert de sang
Je me souviens à l‘occasion d’une vente d’un domaine appartenant à deux frères qui ne s’entendaient pas, de voir mon bureau et mes dossiers maculés du sang de l’un d’entre-eux, assommé par l’autre à coups de poing. Finalement la maison s’est vendue au tiers du prix aux enchères publiques après saisine du tribunal de première instance qui me m’a donc missionné pour le vendre par adjudication.
Il m’arrive de créer les statuts d’une société, d’aller les déposer au greffe et de procéder à l’immatriculation de la personne morale en ma qualité de greffier.
Il m’arrive d’avoir à poser des scellés à Miquelon à une heure de bateau, par des temps impossibles et des froids polaires, parfois je n’arrive même pas à faire fondre la cire. Je suis maintenant en liste rouge après avoir été plusieurs fois menacé de mort par des maris furieux, lorsque j’étais missionné pour régler des partages après divorce pour faute…

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Quels sont vos projets d’avenir ?
Je prendrai ma retraite dans trois ans, à 62 ans, pour pouvoir enfin profiter de mes loisirs préférés, la voile l’été, la photo et la musique dans mon groupe de musique celtique « Le brise-glace orchestra ». Je resterai à Saint-Pierre et Miquelon puisque ma compagne y est professeur, d’espagnol (ça ne s’invente pas) et s’y trouve bien.
Il y aura le souci de mon remplacement, les instances en sont d’ailleurs conscientes puisque le garde des sceaux en a été alerté. C’est un système bancal qui inquiète les autorités. Doit on supprimer le poste de greffier notaire ? Recréer un office notarial ? Le problème en serait la durée de mise en place, tout ceci peut prendre du temps et il conviendra d’éviter absolument une vacance de poste.
Aujourd’hui rien n’est encore résolu.
Affaire à suivre…

Propos recueillis par Caroline Lambert

* Les collectivités d’outre-mer (acronyme COM) sont des territoires aux statuts divers. Elles sont régies par l’article 74 de la Constitution. Ainsi Saint-Pierre-et-Miquelon (975), garde dans les faits l’usage du terme de « collectivité territoriale de la République française » ;
** http://fr.wikipedia.org/wiki/Saint-Pierre-et-Miquelon

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