La gestion de la crise

C’est un sujet très délicat que de gérer une crise et surtout lorsqu’elle prend de l’ampleur. Certes, chaque professionnel en gère une infinité tout au long de sa carrière, mais la véritable crise nécessite parfois de faire appel à des experts. Pour mieux en comprendre les mécanismes, j’ai rencontré Guillaume Didier, associé au sein du cabinet VAE SOLIS* et Camille Chareyre, consultante senior.

Il fait moins chaud aujourd’hui à Paris, l’immeuble haussmannien cossu, proche de l’Etoile, assoit la respectabilité de Vae Solis Corporate. Trois étages abritent les activités des 25 salariés de ce cabinet de conseil en stratégie de communication et gestion de crise, né il y a 15 ans. Son nom est tiré d’une locution latine qui signifie : « malheur à celui qui va seul ».  Les autres étages sont occupés par une étude notariale. Un petit clin d’œil du destin qui me fait sourire.

Je suis accueillie par un jeune homme en « Friday wear » dont je n’imagine pas 5 secondes qu’il puisse s’agir de Guillaume Didier, associé chez Vae Solis, dont le CV long comme le bras ferait pâlir d’envie plus d’un vieux briscard de la profession.

Ce magistrat en disponibilité a eu le temps de comprendre les impacts des crises au sein d’une administration, de connaître les rouages infiniment subtils de son ministère de tutelle et des cabinets ministériels, avant d’intégrer Vae Solis. Il n’est pas très grand, a l’air très juvénile, et ressemble au « gendre idéal », mais très vite on est fasciné par la rapidité du raisonnement, et l’intelligence qui émane du personnage. Camille, qui travaille à ses côtés depuis 5 ans, semble aussi passionnée par son sujet. Pour moi, elle complète et explicite ce que me dit Guillaume. Ouf ! cela me donne le temps de prendre des notes. Ils me tissent petit à petit la toile explicative de leur métier. C’est captivant.

Pour vous le notariat est- il une catégorie professionnelle à risque ?

Oui, c’est le cas. Plus particulièrement aujourd’hui, avec l’accélération exponentielle de la médiatisation, notamment via les réseaux sociaux, et de la judiciarisation de la société. La question n’est plus de savoir si on va être touché, mais plutôt quand le sera-t-on ?

Les notaires sont particulièrement exposés, en raison de leur caractère institutionnel, quasiment unique dans leur genre dans le monde.

Leur statut d’officier public, les pouvoirs exorbitants qui leur sont attribués, les sommes d’argent conséquentes qu’ils gèrent, leur implication dans la vie intime de leurs clients les mettent en situation de risque de plus en plus important.

Il faut savoir qu’avec 3 followers sur twitter, on peut interpeller un journaliste. Il est aussi à noter qu’inversement les journalistes font des « appels à témoins » via les réseaux.

Ainsi, on peut apercevoir régulièrement des tweets comme : « Recherche une personne ayant eu un problème lors de la rédaction d’un acte notarié, etc. ». Ce sont des phénomènes de plus en plus courants, en raison notamment de la concurrence féroce entre les médias.

Ce qui nous intéressera dans la gestion d’une crise au sein d’une étude de notaire, sera moins le notaire malhonnête dont la culpabilité est avérée que le notaire accusé à tort et acculé à se défendre.

La gestion d’une crise consiste essentiellement à mettre en place une stratégie de communication élaborée conjointement par le client, son conseil juridique et le conseil en communication.

Aurez-vous une approche particulière pour gérer une crise dans une étude notariale ?

Oui, certainement, car c’est une profession exceptionnelle par son statut particulier et unique. Elle est dans le « top-dix » des professions à risque, en raison de son obligation de rigueur et de transparence très supérieures à la majorité des autres professions.

L’opinion publique ne permettra, ni ne pardonnera le mensonge à un notaire. La manipulation de la part d’un notaire ne sera jamais admise, ni même tolérée par l’opinion publique. C’est la contrepartie du statut d’officier public : pour l’opinion publique, un notaire n’a pas le droit à l’erreur.

Ainsi on sait très bien que, si au sortir d’une garde à vue, un patron d’industrie peut apparaître stressé, mal rasé et en chemise ouverte devant les micros, cela est inenvisageable pour un notaire. On veillera à ce qu’en toute circonstance, il conserve une apparence correcte et une attitude mesurée. Autant le patron sera autorisé à « disjoncter » autant on ne pardonnera pas au notaire une attitude fébrile. On sera ainsi plus vigilants et plus prudents sur la médiatisation. On sélectionnera soigneusement les journalistes à appeler, on sera beaucoup plus discret.

Avez-vous déjà géré une crise pour une étude notariale ?

Non pas explicitement, mais j’ai déjà eu des affaires un peu complexes où des notaires étaient impliqués.

Prenons un cas : Imaginons une étude respectée dans une ville importante du sud de la France. Ses clients sont des industriels, banquiers de la région. Un des 4 associés détourne un million d’euros. Un client porte plainte… A vous de jouer monsieur Didier.

  • Le réflexe de l’autruche

On peut aisément imaginer qu’à l’annonce de cette plainte, les 3 associés paradoxalement refuseront de considérer qu’ils doivent faire face à une crise grave.

En effet, l’attitude de déni de la part des dirigeants est très classique dans le cas de crise grave : faire l’autruche est un réflexe de défense. Que l’on soit ministre ou grand patron, on perd toujours ses moyens lorsque l’on est atteint personnellement par une affaire.

C’est évidemment une mauvaise attitude, puisque que le temps perdu à tergiverser permet à l’information de se répandre très vite et sans contrôle.

Le cabinet de conseil en gestion de crise est là aussi pour pouvoir dire des choses que les associés n’osent sans doute pas se dire entre eux.

Envers les médias, il y a quelques réflexes  à avoir rapidement dès le début de la crise, et que le conseil en communication vous redonnera en temps et en heure.

Par exemple, il ne faudra pas répondre à chaud aux questions préalables des journalistes. Ces derniers ne manqueront pas de téléphoner avant même que les notaires aient eu le temps d’y réfléchir.

Sans pour autant leur raccrocher au nez, il faut gagner du temps, prendre leurs coordonnées, demander le délai de réponse et s’engager à les rappeler dans le délai imparti.

Les actions immédiates à mettre en place
  • Prévenir les instances (Conseil supérieur du notariat, la chambre, etc.), appeler un avocat, et un cabinet de gestion de crise.
  • S’arrêter, libérer son emploi du temps, annuler ses rendez-vous pour prendre le temps de réfléchir est capital pour bien gérer une crise.
  • Il est capital que tout le monde soit physiquement présent
  • Prévenir l’interne et notamment les assistant(e)s ou standardistes susceptibles d’être en relation avec des journalistes, des clients, etc.
  • Une stratégie de communication définie en accord avec les associés et les avocats

Nous allons toujours sur place pour rencontrer les associés et nous passons le temps nécessaire pour réfléchir et analyser avec eux la situation. Il nous est ainsi plus facile de travailler, et dire en face ce qui est parfois impossible d’exprimer au téléphone.

Cela permet d’instaurer une confiance qui permet évidemment un travail plus efficace.

Pendant ce temps là, à notre siège parisien, une cellule de crise se met en place, qui cartographie les média et intervenants locaux (élus, journalistes, correspondants médias, etc.) pour éventuellement les joindre rapidement si la stratégie de communication définie le demande.

Le fruit de ce travail en équipe est l’évaluation de la crise.

C’est à ce moment que notre présence prend toute son importance, en effet, on sait par expérience, que, quelque soit l’origine et la nature d’une crise, les mécanismes engendrés et à mettre en place sont toujours les mêmes, à quelques subtilités près.

Il faut se mettre d’accord sur les réponses en anticipant les demandes des journalistes.

Pour cela, on imagine les questions sensibles et les éléments de réponse à y apporter.

Les réponses seront toujours techniquement et juridiquement inattaquables et parfaitement compréhensibles par le grand public.

On devra aussi former les collaborateurs à répondre aux questions qui ne manqueront pas de leur être posées, de la standardiste au chef de service.

Au terme de cette réflexion, il sera décidé conjointement d’une stratégie globale de communication.

A destination des médias, des politiques, de la chancellerie et de l’interne.

Doit-on être discret ? Ou au contraire monter au créneau ?

La stratégie sera-t-elle de se taire ? De parler ? De n’agir qu’en réaction ?

Tout cela sera déterminé entre les associés, le conseil juridique et le cabinet de gestion de crise.

Il faudra déterminer, assimiler cette stratégie, et être capable de l’adapter en fonctions des évolutions de la crise dans le temps.

  • Ne pas négliger l’interne

L’autre point essentiel est de ne pas négliger l’interne, autrement dit les salariés, les collaborateurs de l’étude.

Il n’y a rien de pire que les bruits de couloir. Les collaborateurs devront être prévenus, rassurés, en leur disant dans les grandes lignes : « nous sommes présents, nous avons pris la mesure de l’événement, nous mettons les moyens en place. »  Les collaborateurs sont souvent une source importante d’informations. Il sera primordial que les associés leur laissent leurs portes ouvertes afin de ne pas occulter des messages qui peuvent s’avérer capitaux.

  • S’adresser aux clients de l’étude

Enfin, il est aussi essentiel de prendre en compte les clients de l’étude. Cela sera examiné au cas par cas en fonction de la crise et de l’étude. Il peut être envisagé par exemple de prévenir dans un premier temps les clients du notaire qui a mal agit. Il sera possible de les prévenir immédiatement par téléphone, un courrier ou un mail écrit est aussi envisageable même si l’explication orale est toujours privilégiée.

Les autres clients de l’étude, a minima, ceux ayant des dossiers en cours de traitement et donc en relation constante et régulière avec l’étude devront être également prévenus de l’affaire. Les clients historiques pourront également être tenus au courant.

Tout ce travail ne sera jamais inutile même en l’absence de retombées médiatiques.

On sait que les instances notariales n’aiment pas ce genre de « publicité », comment agir sans être en porte-à-faux avec elles ?

Même si les instances demandent le silence, cela n’empêche pas de répondre « en off » à un journaliste. De déminer des fausses allégations auprès d’un média : « Non, je n’ai pas été en garde à vue : juste interrogé en tant que témoin ». La communication de crise ne conduit pas nécessairement à être sous le feu des projecteurs, mais de faire le travail de pédagogie nécessaire. Le « off » permet que les journalistes n’écrivent pas n’importe quoi. Il est donc indispensable de mettre en place cette communication.

Finalement, tout cela relève du bon sens, et en y réfléchissant un peu, on pourrait se passer de vos services ?

Effectivement c’est du bon sens et c’est pour cela qu’il n’existe pas d’école ou de diplôme de gestion de crise. Mais pas seulement, c’est aussi le fruit d’une expérience, d’une réflexion menée en permanence par nos équipes, et de la qualité de notre réseau.

Si l’on veut en cas de problème grave maintenir l’activité de l’étude, calmer le jeu rapidement, on a tout intérêt à utiliser les services d’un cabinet de gestion de crise. En effet les notaires associés devront simultanément faire face à des multitudes de complications, ils seront eux même en état de stress et leur réflexion en sera d’autant plus amoindrie. Donc, même si l’on sait intuitivement ce qu’il serait bon de faire, on ne le peut pas dans ce contexte exceptionnel, inattendu et violent.

Notre force supplémentaire est notre expérience de la gestion de crise, et de tisser et entretenir un réseau de journalistes, politiques, administratifs sur tout le territoire. Ainsi, il est indispensable d’avoir une relation de confiance avec les journalistes pour être cru sur parole et pouvoir déminer rapidement le terrain.

On ne doit ni manipuler ni mentir à un journaliste. Notre relation privilégiée nous permet de gagner du temps.

Dans une affaire grave, connaître le bon interlocuteur peut être utile.

Ainsi dans notre cas, la connaissance des relations entre les professions, leurs instances professionnelles et leurs ministères de tutelle acquise lors d’anciennes expériences professionnelles nous permettront de rassurer les instances de tutelles de l’étude, on peut parfois anticiper un scandale en prévenant rapidement les instances.

Et une fois la crise passée, comment gère-t-on les séquelles ?

Notre accompagnement continue une fois la crise passée. En effet, son impact se fera encore sentir dans les années à venir si on ne réfléchit pas à une stratégie de reconstruction d’image et de réputation.

Il sera indispensable de communiquer dans un second temps, une fois retombé le tumulte.

Notre cabinet refait alors un audit et propose une nouvelle stratégie.

On peut alors par exemple envisager de changer de nom, de déménager, d’avoir un nouveau logo. C’est une proposition sur mesure, il n’y a jamais de solution toute faite.

Il est aussi important de prendre soin des collaborateurs. Il sera utile de les réunir, de faire un bilan de ce qui est arrivé.

Il faut aussi éviter d’en faire un sujet tabou ou un « secret de famille », sinon les équipes et leur relation aux notaires associés seront durablement impactées.

Cela pourra se faire sous forme d’un séminaire de travail, d’une réunion de l’équipe dans les bureaux de l’étude ou dans un lieu proche. L’essentiel sera de débriefer, parler et laisser s’exprimer tous ceux qui le désirent.

Tout cela parait simple sur le papier, mais en état d’urgence, personne n’est clairvoyant sur son propre cas, les récents évènements l’ont parfaitement démontré. Il n’y a d’homme politique plus sage et raisonné que François Fillon. Lorsqu’il a été attaqué personnellement, sa communication a été maladroite et inadaptée et l’a conduit pour une grande partie à perdre les élections.

Ne négligeons jamais les impacts d’une crise. N’hésitons pas à agir vite.

Dans le meilleur des cas, il en ressortira qu’il n’y a rien de grave, et on aura mobilisé ces intervenants pour presque rien, un peu de temps et d’argent dépensés mais une expérience acquise qui ne sera jamais inutile.

J’aurais pu continuer à les écouter parler des heures de leur expérience, mais un léger coup d’œil sur sa montre, m’indique que Guillaume doit retourner à ses dossiers. C’est évident, les crises n’attendent pas !!

Caroline Lambert

www.vae-solis.com
@VaeSolis
@GuillaumeDIDIER

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