Mon associé est un escroc

Une étude familiale depuis 5 générations, une clientèle de quartier, 3 notaires respectés pour leur compétence, on leur fait confiance, aveuglément parfois… Entre eux trois une bonne entente, une amitié profonde unit même deux de ces notaires, dont l’un a été choisi par le père de l’autre pour l’épauler. Bref la situation idyllique dont tout notaire peut rêver pour son étude et la bonne marche de celle-ci. La situation est florissante et pas un nuage n’obscurcit le ciel de mon interlocuteur jusqu’au jour où…

« Après ton congé de 3 jours, me dit un matin l’un de mes associés, tu viendras me voir, ll faut que je te parle » je ne m’attendais pas à ce que le jour de mon retour, le ciel me tombe sur la tête.

Mon ami et associé avec qui je travaille en parfaite confiance, adoré de ses clients, excellent praticien nous trahit depuis 20 ans, puisqu’il a commencé ses malversations en étant clerc. Par d’habiles mouvements de fonds, il transfère sur son propre compte l’équivalent de 12 millions de Francs (cela s’est passé il y a 22 ans).

Comment vous en êtes vous rendu compte ?

Le troisième associé a vu passer un virement inhabituel de 500.000 Frs sur le compte du notaire incriminé. Cela l’interpelle, et il entreprend des recherches plus poussées, ce qu’il découvre l’abat littéralement, leur associé est un « malfaiteur ».

Pourquoi une faute aussi grossière ?

Je pense qu’il voulait nous prévenir, lui-même était au bout de son système, il n’en pouvait sans doute plus.

Que faîtes vous ?

Pendant tout un week-end, nous tentons de comprendre, convoquons ce notaire, lui faisons subir un interrogatoire en règle. Nous épluchons plus de 200 dossiers de clients et étudions son agenda jour par jour. Dans les semaines qui suivent nous demandons les copies de plus de 2000 chèques, découvrons que 15 clients sont concernés. Nous n’avons pas encore pris conscience de l’ampleur des dégâts Nous le « virons » et lui demandons de rembourser les 4 millions que nous avons à ce moment-là identifiés.

Il reconnaît tout, et assure qu’il va rembourser. Mais ne manifeste apparemment aucun regret.

Au bout d’un mois, après avoir analysé les comptes, nous nous rendons compte qu’il ne s’agit pas seulement de 4 millions mais de 12 millions.

Impossible d’envisager un remboursement, notre ex-associé n’en a pas les moyens. Les sommes sont trop importantes.

Nous finissons par le dénoncer à la chambre et demandons un administrateur.

Cela a été terrible pour nous.

D’abord, le coup de massue lorsque l’on apprend que celui en qui on met une confiance totale vous a trahi. Cela m’a obligé à reconsidérer cette notion de confiance et à me demander si ceux à qui je la donnais n’étaient pas non plus indignes de celle-ci ? J’étais totalement déboussolé. Cela faisait 10 ans que je travaillais avec lui, nous avions souvent évoqué ces problèmes de malversations dans certaines études, il s’en offusquait autant que moi, avec une sincérité évidente. Il y avait sans doute chez cet homme un docteur Jekyll et un monsieur Hyde.

Puis, la tristesse d’avoir perdu un ami.

Ensuite l’inquiétude, l’étude va-t-elle résister à ce scandale ? les clients vont-ils bien réagir ? Beaucoup de peine et de crainte de perdre le fruit du travail et de la confiance dans l’étude installée depuis des générations.

Enfin, la « punition ».

La chambre s’offusque de ce délai d’un mois pour dénoncer notre associé, mais pour nous, c’est normal de lui laisser une chance de pouvoir rembourser ces sommes avant que nous ne le dénoncions.

Nous passons alors en conseil de discipline, et sommes condamnés à une période d’inéligibilité. Nous le ressentons comme une double peine et le vivons très mal, la période est déjà difficile à supporter et nous sommes de plus montrés du doigt par nos pairs.

En effet les confrères savent que nous avons été condamnés mais sans en connaître les raisons.

J’ai vu pleurer mon père pour la première fois, terriblement déçu par l’homme qu’il avait choisi comme associé et s’en voulant d’avoir créé ces problèmes dans l’étude qu’il avait si longtemps dirigée »

Et le coupable dans tout cela ?

Il a été condamné à 2 ans de prison ferme plus un avec sursis. Il n’a jamais manifesté aucun remord, il a purgé sa peine, puis est devenu avocat, aujourd’hui il exerce non loin d’ici…

Je ne l’ai jamais revu. C’est une vraie question que celle du pardon, c’est véritablement comme un divorce, nous travaillions dix heures par jour ensemble, passions aussi des vacances et des week ends avec nos familles. Tant d’années… c’est très rude à digérer. J’ai mis beaucoup de temps à ne plus lui en vouloir.

Sans doute était-ce parce que j’étais jeune notaire, plus confiant et idéaliste qu’aujourd’hui, mon associé d’alors, plus âgé ne l’a pas ressenti de la même manière, « c’est un associé qui a fait une connerie »…

Et vos clients ?

Nous avons rapidement reçu tous les clients spoliés, tout a été fait en totale transparence, cela a amené une sympathie et un renouvellement de leur fidélité. (13/15 sont encore clients à l’étude) La caisse de garantie les a remboursés. Certains clients un peu âgés ont eu même du mal à le croire, et pensaient que nous calomnions ce notaire qu’ils appréciaient. Une de ses clientes était si proche de lui qu’elle avait envisagé de l’adopter.

Deux clients nous assignent à titre personnel mais sont déboutés par le tribunal., tous les autres avaient assigné l’étude ou le notaire malhonnête.

Nous avons peut-être perdu quelques clients mais en nombre réduit. Nous avons pu constater que si les clients peuvent être fidèle à leur notaire, ils le sont également à leur étude. Les clients de ce notaire indélicat ont été facilement « re-dispatchés » et ce en toute confiance.

Les confrères ?

Ils ne font pas toujours preuve de confraternité. Certains vont même jusqu’à utiliser cette histoire pour essayer de récupérer des clients …. Ou des collaborateurs (« cela ne vous pose pas de problème de travailler pour cette étude ? » entendent certains d’entre eux à des rendez-vous extérieurs.)

2 ou 3 d’entre eux nous ont demandé comment cela avait été possible de ne rien voir pendant 10 ans, en fait, c’était réellement impossible d’identifier la malversation.

Et je crois que même aujourd’hui, avec un peu subtilité, on peut dérober de l’argent sans trop de problème… En analysant plus tard la situation, nous nous sommes rendus compte que ce notaire indélicat ne prenait jamais de longues vacances, de peur sans doute qu’un client mécontent vienne se plaindre auprès de nous.

Les collaborateurs ?

Tous ont été informés. On leur explique comment répondre aux questions qui peuvent leur être posées, par les clients, par les confrères.

Malgré cette période où règne une tension importante, où ils sont parfois montrés du doigt lors de rendez-vous extérieurs, ils sont tous restés. Au contraire, il semble que cela a créé une cohésion plus forte dans l’équipe.

La seule qui soit partie est la collaboratrice la plus proche du notaire malhonnête qui ne pouvait décemment demeurer dans l’étude, même si elle n’était en aucun cas complice. En effet, elle même ne tenait pas à rester, car sa situation était très vite devenue intenable. Avec notre aide elle est allée travailler chez un confrère et ami, elle y est restée jusqu’à sa retraite.

Comment vivre cela ?

C’est ainsi que cette période a été terrible, en dehors de la tristesse et de la déception par rapport à cet associé/ami, j’ai eu beaucoup de crainte de perdre le fruit du travail que plusieurs générations de notaires (mon père, mon grand père, mon arrière grand père) avaient engrangé.

Nous nous sommes demandés comment nous allions tenir, nous avons eu peur de perdre nos clients, en effet à 80% notre clientèle est issue du quartier. Finalement, cela ne s’est pas produit, car la transparence totale de la communication a aidé. Lorsqu’un client qui avait eu vent de l’histoire posait des questions, il était totalement informé des faits et de ce qui avait été mis en place.

Ce qui est compliqué c’est de vivre en se disant « je ne peux plus faire confiance à personne », nous nous le disons entre associés et nous proposons de se « vérifier » mutuellement de temps à autre.

On vacille, on remet tout en question.

Nous faisons même appel à un cabinet de gestion de crise, qui, au vu du contexte et de l’environnement, nous conseille de ne rien faire de plus… juste informer à la demande.

« Assumez, mais n’en rajoutez pas ».

Ce qui semble- t-il a été une très bonne décision.

Heureusement nous avons étté très épaulés à ce moment là par un collaborateur qui nous a beaucoup soutenu moralement et nous a aidé à assurer la bonne marche de l’étude. Naturellement il reprendra la place du notaire indélicat et deviendra plus tard notre associé.

Cela se vit 24 h sur 24… et pendant des années…

Alors qu’au bout d’un an, c’était réglé pour l‘étude, son image, le chiffre d’affaire, les clients, pour moi, il a fallu 6 ou 7 ans pour « panser la plaie ».

Je m’en suis soigné car la présidente de la chambre, un jour, m’a demandé de témoigner devant mes confrères. Je me suis senti alors « guéri ». Le fait de raconter publiquement ce qui jusqu’alors ne pouvait être évoqué que dans de très petits cercles, de réaliser que je n’étais pas seul à avoir subi ce traumatisme, de permettre à mes confrères de s’exprimer et de se rendre compte que je les avais aidés à briser les tabous liés à ce sujet a agi comme une thérapie.

22 ans plus tard, je ne suis plus dans le même état d’esprit, je refais confiance, mais avec quelques bémols. Je place toujours des pare-feux, cela me marque aussi pour ma vie amicale.

Au niveau des instances ?

Dans le cas où il n’y avait pas eu de plainte, il y a eu une époque où les notaires « s‘arrangeaient » entre eux, aujourd’hui plus aucune chambre ne le ferait. D’ailleurs la discipline se fait maintenant au niveau des conseils régionaux.

Il y a cependant une omerta forte sur le sujet, cela engendre beaucoup de non-dits et de conséquences parfois désastreuses. Les chambres et les régions sont très cloisonnées, cela serait certainement un sujet à aborder en assemblée.

Témoignages à l’appui, puis répondre aux questions que l’on se pose évidemment ensuite : comment faire avec ses clients ? ses associés ? ses collaborateurs ? pendant l’évènement et après.

Il y aurait certainement des choses à faire. L’image du notaire n’est pas bonne, le « notaire véreux » existe toujours dans les esprits. En effet, ils gèrent beaucoup d’argent.

L’omerta ne résout rien, et si pendant longtemps on a cherché à protéger son confrère, ce n’est plus possible. Le notariat sera poussé par la société civile à aborder ces sujets publiquement. L’importance de la communication au niveau des plus hautes instances semble avoir été admise, cela avance petit à petit, il faut le reconnaître.

Nous tenons à remercier ce notaire qui nous a ouvert sa porte et accepté de parler d’un sujet délicat rarement abordé publiquement ou dans les articles consacrés à la profession.

Caroline Lambert

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