Audrey Ducanos : le lancer franc d’une battante

Arbitre au niveau national de basket et notaire à Forbach

Maître Ducanos est accueillante et très précise. Nous avons un rendez-vous téléphonique de 30mn et, comme lors d’un match de basket, chaque « quart-temps » de notre entretien se jouera avec la précision d’un dialogue vif, juste et synthétique.

Sa voix est claire et sympathique, elle me met à l’aise. Elle siffle le coup d’envoi de l’entretien et prend en main la situation.

Elle répond rapidement et ne se noie pas dans des considérations psychologiques, c’est sans doute nécessaire pour bien arbitrer, sur un terrain de sport comme dans le secret de son bureau notarial. C’est le match d’une vie.

Pouvez-vous vous décrire en quelques mots?

Je suis Audrey Ducanos, notaire installée à Forbach et nommée depuis le 27 août 2012. J’exerce en SCP. J’ai commencé mon cursus universitaire en Allemagne avec un DEUG Franco-allemand puis une licence et une maîtrise à Nancy puis enfin le CFPN de Strasbourg. Notaire frontalier avec l’Allemagne.

Au départ de votre aventure, aviez-vous une passion pour l’arbitrage ou pour le basket ?

J’ai toujours pratiqué le basket. J’ai commencé à jouer à 15 ans. Il se trouve que le club devait alors former des arbitres répondant à une charte d’arbitrage. Mon club me l’a proposé et je suis donc arbitre depuis l’âge de 16 ans. J’ai grimpé peu à peu les échelons et suis vite arrivée au niveau du championnat de France et depuis 3 ans, j’ai accédé au haut niveau.

Dans le haut niveau, il faut savoir qu’il y a quatre sous-niveaux : la Pro A, la Pro B et la Nationale 1 Masculine (ce sont les trois meilleurs niveaux français), et la Ligue Féminine qui est le plus haut niveau féminin ; par exemple Céline Dumerc (capitaine de l’équipe de France) est dans cette série, ainsi que les joueuses de l’équipe de France, l’équipe de Bourges, peut-être que cela vous dit quelque chose ? Petit rire. Pour ma part, j’officie en Ligue Féminine et en National 1.

Donc, vous arbitrez aussi des garçons ? Est-ce très différent, par rapport à un match de basket féminin ? 

Cela est, avant tout, un match de basket. Cependant le basket féminin est très différent du basket masculin, dans la mesure où il est beaucoup moins physique, il est beaucoup plus technique.

Où exercez-vous l’arbitrage ?

Je me déplace souvent. J’habite en Alsace et j’exerce en Moselle, je suis amenée à arbitrer du Nord, à Paris, à Lyon, jusqu’à Saint-Etienne. Comme vous voyez c’est un grand « quart » de la France. 

Les matchs se jouent le week-end, arrivez-vous à concilier vos deux occupations, celles de notaire et d’arbitre ? Cela semble « sportif » comme rythme…

Tous les week-ends, même parfois des matches en semaine. Oui, en effet c’est sportif, c’est même chronophage (rire). Parce que la saison commence fin septembre pour se terminer début mai. On court tout le temps, comme au basket…

Quelles sont les aptitudes pour bien arbitrer ?

Je n’ai pas un grand gabarit, je mesure 1 m 62 et je ne suis pas bien grosse non plus, donc il est évident que cela me demande une bonne condition physique pour compenser mon manque de taille. J’ai toujours fait du sport, beaucoup, et j’ai toujours réussi à gérer à fond les deux activités.

Et il faut aussi savoir rester maître de ses émotions.

Pourquoi être devenue notaire ? C’est un chemin différent de celui de l’arbitrage…
Le sport a toujours guidé ma vie mais quand j’ai fait mes études de droit, je savais que je voulais être notaire, j’en étais sûre. J’aime ce contact avec un public très diversifié, ce rôle social que nous avons au sein des familles. Donc j’ai essayé de trouver une fac qui n’était pas trop loin pour que je puisse continuer à faire du sport et arbitrer ; pour l’instant, cela a toujours été géré, il n’y a pas eu trop de problèmes.

Selon vous, être notaire demande des qualités particulières ?

De la maîtrise de soi, de la patience et de la psychologie.

L’arbitrage vous aide-t-il dans votre métier ?

Exactement. Je ne sais pas si vous connaissez la particularité de l’Alsace-Moselle* pour la pratique du notariat. Il faut savoir que les notaires sont compétents pour les saisies immobilières et pour gérer les partages judiciaires, c’est parfois conflictuel et cela peut être violent. Je vais vous raconter une anecdote : quand j’ai postulé ici, mon associé, au départ, hésitait sur le fait de s’associer à une femme et, quand je lui ai dit que j’étais arbitre, je pense que ça l’a poussé dans sa décision : il s’est dit « punaise, si cette petite nana là sait arbitrer un match de basket et réussit à gérer des joueurs de 2 mètres sur un terrain, je pense qu’elle n’aura aucun problème à manager une étude ». Cela l’a aussi étonné de voir que j’avais cette passion, et que j’arbitrais dans le haut niveau. Ce n’est pas la seule raison qui a déterminé son choix mais c’était un argument important.

Donc le sport vous aide dans la pratique quotidienne de votre métier ?

L’arbitrage m’aide beaucoup. Notamment en termes d’organisation, parce que lorsque l’on part arbitrer, il faut forcément anticiper son déplacement, en général on part le samedi à 9 h et on rentre le dimanche à 13 h. Cela m’a aussi beaucoup apporté dans ma vie, personnelle et professionnelle. Le sport a développé ma faculté d’anticipation des problèmes, la maîtrise de soi, la faculté de compréhension des réactions des clients par exemple. 

Gérez-vous votre étude avec votre vision de sportive et d’arbitre ?

Dans la psychologie, oui. Le sport apporte aussi un aspect humain au notaire. Je le vois bien, par exemple, il y avait les Journées de l’Arbitrage et il y avait un petit article sur moi et l’on me disait « ah, mais vous êtes arbitre et notaire ! ». Le sport amène quand même un petit plus, il humanise le notaire en quelque sorte. J’ai eu des retours très sympathiques, « et vous faites encore ça les week-ends ? » me disait-on. Les gens autour ont été assez perplexes, mais dans le bon sens. En règle générale, j’arrive parfaitement à scinder les deux, ma vie d’arbitre et de notaire.

Vous connaissez d’autres sportifs de haut niveau dans le notariat ? Pensez-vous que c’est une pratique fréquente dans le notariat ?

Non, je n’ai pas l’impression. Je connais pas mal de jeunes confrères qui font aussi beaucoup de sport, qui essayent de faire du sport à côté, mais dans la pratique du haut niveau, non, je n’ai pas l’impression. Notre métier nous prend tellement de temps…

Quel souvenir marquant avez-vous de votre carrière d’arbitre ? Un match ou une rencontre en particulier ?

L’année dernière, après les attentats du mois de janvier, je suis allée arbitrer dans le Nord, il faut savoir que lorsque vous arbitrez dans les salles du Nord, le public chante toujours les corons (chant des supporters dans le Nord). Après le chant des corons, ce jour-là, la foule a enchaîné avec la Marseillaise. Quand vous entendez dans ces moments particuliers toute une salle qui chante l’hymne national, cela vous fait frémir. Ce sont des moments inoubliables. En tant qu’arbitre…vous êtes au milieu du terrain, debout, juste avant le début du match : c’est magnifique !!

Y a-t-il un match dont vous vous rappelez particulièrement ?

Oui, j’ai déjà arbitré des matches de finale de Coupe de France, à Bercy ; au niveau du basket c’est l’évènement le plus important en France, c’est-à-dire que lors d’un même week-end, la fédération organise des finales de Coupe de France où toutes les catégories sont réunies, Bercy est plein à craquer. Les équipes finalistes se rencontrent. C’est un événement très festif où on se retrouve tous, La salle est immense, cela reste un de mes meilleurs souvenirs d’arbitre. C’est la reconnaissance d’une bonne saison d’arbitrage, on vous met en avant, c’est un peu comme une récompense. Vous le vivez une fois dans votre vie, c’est assez sympathique.

Le basket est un sport où les joueurs sont assez fair-play avec les arbitres, on ne retrouve pas ces relations tendues comme dans le football par exemple ?

Non pas du tout. Il y a un rapport envers l’arbitre qui est très courtois. J’officie à haut niveau, il ne faut pas l’oublier, donc il y a des enjeux sportifs et financiers, mais on n’est pas malmenés comme cela peut l’être au foot.

Vous continuez à jouer au basket ?

Non, je ne peux plus parce que j’ai des problèmes au genou, sinon j’aurais continué. Je pratique d’autres sports pour entretenir ma condition physique, mais malheureusement j’ai dû arrêter le basket.

Que diriez-vous à un notaire qui débute aujourd’hui ?

Je pense que je lui dirais de rester à la portée des gens. Grâce au sport, on arrive à garder les pieds sur terre, à avoir un contact plus proche. L’ancienne génération de notaires était sur un piédestal, derrière un bureau, et je m’aperçois aujourd’hui, dans ma pratique professionnelle, que nos clients attendent de leur notaire qu’il soit simple et abordable. C’est le seul conseil que je donnerais. Compétent, bien évidemment, mais abordable, c’est ce qui modernisera la profession.

Vivez-vous cette proximité dans votre rôle d’arbitre?

Évidemment. Il faut avoir des échanges avec les coachs, avec les joueurs, c’est très amical, on peut se permettre des relations cool, mais, un arbitre doit aussi être quelqu’un qui dirige le jeu, impose les règles et parallèlement, il doit être en empathie avec les joueurs. Dans le travail je pense que c’est pareil. 

Toujours en mouvement, dans son étude ou sur les terrains de basket de France, Audrey Ducanos témoigne, facilement et sans détours, d’une maîtrise de toute situation. En conclusion, pour avoir un bon match, il faut un bon arbitre.

Propos recueillis par Diego Olivares.

  

* En Alsace-Moselle, les charges des notaires se caractérisent par leur non-vénalité et l’absence de droit de présentation. Pour nommer ces officiers ministériels, une commission sélectionne trois candidats parmi lesquels le Garde des Sceaux choisit un nom. Dans les trois départements, les notaires, et les huissiers, ont également la charge de commissaires-priseurs judiciaires.

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